L’Indicible piano d’Ilia Lomtatidze (12 ans)
Publié le 6 Septembre 2015
La sixième édition d’Annecy Classique Festival s’est achevée dimanche, laissant les bords du lac le plus pur d’Europe tout esbaudi de ce marathon musical offert par Pascal Escande qui n’a pas ménagé sa peine, répartie entre Auvers-sur-Oise et la Venise des Alpes. Avec le nouvel élan apporté depuis 6 ans par AVC Charity, l’idée initiale de la regrettée Éliane Richepin a pris un tournant international inattendu. Si la rencontre entre Pascal Escande, Denis Matsuev et Andrey Cheglakov relève du miracle, alors que le premier avait décidé d’arrêter le festival, les fruits de cette résurrection ont largement porté le festival au-delà de son périmètre annecien. Master classes de qualité, résidence avec l’excellence pétersbourgeoise, grands artistes bien entendu, mais peut-être surtout cette place unique faite au piano.
Désormais internationalement reconnus, retransmis en direct, les concerts symphoniques ne désemplissent pas pour un répertoire qualifié de grand public, sans être pour autant en trompe-l’œil et effets de manche. Et si nous pouvons regretter que la nouvelle salle Bonlieu prive le public de la traditionnelle promenade retour qui prolongeait les concerts de l’église Sainte-Bernadette (dont personne n’aura la nostalgie de l’étouffant sauna) jusqu’à l’année dernière, nous ne pouvons que nous réjouir de cet auditorium flambant neuf à l’acoustique travaillé. Mais si ce n’étaient les charmes même des montagnes prenant inlassablement leur bain de pied en admirant leur reflet dans ce lac azuré, ce serait peut-être une simple, mais agréable, succession de concerts semblablement à de nombreux festivals d’été, sans les « intermèdes pianistiques » du château.
Et pourtant, elles se méritent ces heures de récitals que l’on n’écoute qu’au prix d’une ascension caniculaire jusqu’à la vieille forteresse ducale. Mais parvenu au fait de cette colline, après avoir résisté aux tentations des innombrables glaciers de la vieille ville, la fraîcheur blanchâtre de la cour d’honneur offre aux courageux mélomanes une halte majestueuse avant de s’engouffrer dans les salles tissées de pierres et de bois où se presse un public nombreux pour une expérience somme toute assez unique. Loin des festivals de piano parfois surfaits où un chapelet de stars vient rivaliser devant un parterre fait de passionnés comme de mondains, l’atmosphère est sereine et extrêmement bienveillante. Quand les lumières s’estompent, dessinant dans l’ombre l’imposante cheminée de pierres de taille, il ne reste, trônant, que le piano noir d’où dépasse à peine un jeune prodige d’une petite dizaine d’années. Ils ne sont pas là pour concourir, ce sont déjà les meilleurs.
Ils ne viennent pas remplir un énième carnet de commande, ils n’en sont qu’à leur début. De la fraîcheur de leur jeunesse ils réenchantent les plus belles pièces du répertoire sous le regard ému, d’un public médusé. Dans un silence habité par la fascination, ces jeunes talents interprètent avec une maturité parfois déroutante, pour le simple plaisir du public, trois heures durant, des pièces aussi virtuoses que le Sacre du printemps. Ainsi s’égrainent comme une litanie d’actions de grâce des heures au temps suspendu.
A Annecy, les effluves du piano s’exhalent comme la douce brise qui parfois souffle sur le lac. Il faudrait les citer tous, pour n’en oublier aucun, chacun avec ses forces et ses « limites ».
Mais parmi ces noms qui sans aucun doute feront date, il en est un, une perle rare comme il s’en trouve peu par génération, qui s’élève très au-dessus de ce parterre de talent. Ilia Lomtatidze, jeune Géorgien de 12 ans, d’une maturité exceptionnelle, d’une sensibilité musicale incroyablement profonde, fait du piano un art du son, une exaltation de l’émotion. Il sublime de très loin la technique qui disparaît sous ses doigts pour ne se faire qu’âme et sens. Le piano d’Ilia, c’est tout simplement indicible. Il s’entend, il s’écoute, il se donne, il se ressent, en un mot il prend vie.
bravo ! super article... félicitations. vraiment trop content, un moment de bonheur. on ne sait pas qui est le plus heureux des trois.
photo ACF Yannick Perrin
"Merci, de tout cœur de ce partage qui me rend bien heureux!! Bien à vous " Michel Sogny