la paternité (2)

Publié le 31 Juillet 2019

  

   Le père ayant à jouer ce rôle divin de création et de providence sur terre, il lui reviendra aussi un rôle divin de gouvernement. L'amour du père est un amour d'autorité. La gloire intime qu'il en éprouve est une compensation pour ses sacrifices; il sent vibrer autour de son front l'auréole des patriarches; il a le droit de bénédiction et de malédiction comme Jacob; il contribue avec le Père éternel des vitraux et des fresques , à porter la houle du monde .

   Mais le fait que l'autorité est ici exercée par l'amour donne à conclure que le gouvernement de la famille est de tous le plus admirable.  Comme tout ce qui est aux sources, il se trouve imprégné de ce qui est l'essence même de l'autorité: le service . Il est incomparablement le plus dévoué; il est aussi le plus efficace, parce qu'il est le moins abstrait, le plus proche de sa matière, le plus à même de guider les évènements du fait qu'il peut les capter à leur origine; il est le plus mesuré, le mieux ménagé, tempéré et à la fois renforcé de tendresse. Il ressemble à un sacerdoce.

   Puisqu'il est créateur de vie, l'amour du père aura pour rôle de donner la vie sous toutes les formes et dans tous les domaines où la Providence la prépare. La vie du corps, appelant la vigilance et les soins - pas trop de soins, je veux dire des soins énergiques autant que diligents, des soins virils , qui ne se donnent pas en serre chaude, qui ne consistent pas à dire, toujours au négatif: Pas de rhume, pas de fatigue, pas d'écorchures, qui font "bobo" , pas de larmes ; - ensuite, la vie de l'âme, qu'on devra diriger et fomenter en prenant garde de la pousser toujours dans son propre sens , élaguant seulement les défauts, sauvant la personnalité , respectant les spontanéités, suscitant les initiatives au lieu de les contraindre, ne poursuivant pas , entre l'enfant et les parents , une ressemblance factice nullement nécessaire, imitant le bon jardinier qui arrose et taille sans attenter aux espèces; - la vie de l'âme, dis-je , à tous les degrés et en maintenant la hiérarchie des degrés: sensibilité exactement tempérée , caractère bien trempé, intelligence meublée, vie extérieure ouverte sous un regard qui veille, vie religieuse solide, intelligente, fidèle appuyée, de la part du père, par l'exemple : tel est l'esprit directeur de l'éducation.

  La tendresse y est au premier rang; mais ne confondons pas la tendresse et l'amour . Il y a l'amour qui s'attendrit; il y a aussi l'amour qui sévit, l'amour qui assume , quand il faut , le rôle de juge, et qui ne refuserait de frapper que si, par lâcheté, il cessait de réellement aimer :" Qui épargne les verges, , celui-là hait son fils", dit le Proverbe ( Prov. XIII,24)

  Le père, à son foyer, représente la justice spécialement, quoique non pas principalement. Il abandonne à la mère la spécialité des tendresses, et lui, tendre aussi et tendre d'abord, est cependant le justicier indispensable. Sans ce tribunal, le foyer serait livré à l'anarchie des grandes et des petits passions ; tous les mauvais instincts qui dorment au coeur de l'enfant se développeraient  vite, et des fautes soi-disant légères seraient légères à la façon des graines , qui elles non plus ne pèsent pas .

   Le père châtie, c'est-à-dire corrige, redresse, bien éloigné de toute idée de vindicte, désireux seulement de prévenir le pécheur, de prévenir aussi le juste en le remettant peu à peu, par une ferme initiation, aux mains de son propre conseil.  Il châtie celui qui n'est pas encore punissable, afin qu'il ne le devienne pas. L'enfant, comme tel, n'existe pas; il devient . Que sera-t-il? Pour une part immense, pères, il sera ce que vous l'aurez fait , et cette fabrication, pareille, ainsi qu'on l'a tant dit , à l'art du sculpteur, veut la caresse du ciseau sur le marbre, mais aussi l'effort de la pointe qui fait sauter violemment les éclats, lors du dégrossissement qui abat les angles et assouplit la matière.

   Quand on songe à ce qu'est cette vie, à ses hasards, à ses difficultés, à ses labeurs, à ses douleurs, à ses suites éternelles, et que personne ne sait ce qu'il advient d'un enfant, quels tournants le guettent, quels pièges peuvent le faire constamment chuter, de quelle angoisse ne pense-t-on pas qu'il ait lieu d'être bourrelé, le père, et de quel sentiment de responsabilité, d'humilité, presque de culpabilité , pour ce don de la vie qu'il n'a pas , à lui seul, de quoi mener au terme !

    Ne faut- il pas qu'il se rachète, ce coupable d'amour, qui ne sait pas garantir les effets de l'amour ? Qu'il expie, en se sacrifiant, ce qu'il a fait de la part d'un Dieu qui lui aussi se sacrifie, créant, puis rachetant les hommes, recevant la croix des mains qui avaient reçu par son fait le trésor de la vie !

  Ne pouvant pas agir puissamment, jusqu'à épuisement de ses ressources intimes ou visibles, jusqu'à l'extrême des possibilités qui lui sont laissées, jusqu'au bout de lui-même !

   Mais non! qu'il ne s'en tienne pas là. Les enfants ne sont qu'un usufruit; le Propriétaire du fonds a aussi des devoirs, si j'ose dire, et vous avez des droits devant lui, pères, et vous avez aussi le devoir de faire valoir ces droits, c'est-à-dire que peinant de toute votre peine et forçant de toute votre force, vous devez ensuite, avec grand désir appeler de toute votre voix, pour que le Père de là-haut vous entende.

   Tout au long de votre tâche, et même au-delà; tant que l'enfant demeure enfant et même au jour où l'enfant décroissant, l'homme, la femme peu à peu prend la place; même quand l'humanité nouvelle éveillée tout à fait devient capable d'une oeuvre propre, quitte le foyer ancien, organise le foyer nouveau, emportant avec ses souvenirs, l'empreint heureuse, j'espère, d'un amour qui est devenu elle-même: toujours et " sans intermission", vous dirait l'apôtre, comme pour vous, mieux que pour vous, il convient de prier.

   La prière du père de famille est le plus touchant aveu d'impuissance et le plus vertueux désir qui puisse monter vers Celui qui exauce. Il sait d'où viennent les biens, le chrétien que l'illusion du visible n'a point séduit, et que les biens dont lui-même fut le canal ne lui appartiennent point, qu'ils peuvent toujours dévier sur les pentes, qu'ils peuvent être absorbés par ce sol ingrat, qu'il n'a donc de ressource, après l'effort donné jusqu'au bout, que de saisir l'arme unique des impuissants: la prière.

   Et il dit:

Père, dont j'ai reçu le nom que je porte avec vous, Père des cieux qui regardez s'efforcer les pères de la terre, voyez comme je ne suis qu'un pauvre homme, moi que vous avez revêtu d'une dignité aux fins immortelles! J'ai à mener à travers la vie et jusque au-delà les enfants de votre amour et du mien. Je ne connais pas le chemin; moi-même n'y ai marché qu'à tâtons. Aveugle chargé de conduire d'autres aveugles, j'ajoute à mon aveuglement ma débilité.. Ni prévisions, ni courage, ni puissance, tout au moins en proportion de ce qu'il me faudrait.

   Alors, conscient de mon manque, je me tourne vers vous, Père, afin que vous soyez père avec celui que vous avez investi. Ceux que vous avez aimés avant moi, aimez-les avec moi et à travers moi; donnez-leur et donnez-moi pour eux en communication tout ce qui fait le prix de la vie, tout ce qui la porte là où elle va, tout ce qui l'éternise.

   Pour être un bon instrument de votre don, je renonce à l'amour égoïste, à l'amour paresseux, à l'amour lâche et présomptueux, comme j'ai renoncé, en concevant le sentiment paternel, à l'amour exclusivement jouisseur qui est la tentation des êtres.

   L'amour, Seigneur, est une grandeur que vous ne voulez pas qu'on profane; c'est un rôle de l'esprit: que je ne l'ensevelisse pas dans la chair. L'amour est une vertu qui se greffe sur une passion comme une rose sur un sauvageon: faites qu'elle ait eu en moi le pouvoir de transformer en éternelle beauté la sève de la terre.

 

 

Rédigé par RP Sertillange op +

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