homélie dom Jean Pateau - mercredi des cendres
Publié le 22 Février 2023
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Homélie du Très Révérend Père Dom Jean PATEAU
Abbé de Notre-Dame de Fontgombault
(Fontgombault, le 22 février 2023)
Chers Frères et Sœurs, Mes très chers Fils,
La décadence morale de l’humanité ayant pour conséquence l’affaiblissement et la disparition du respect dû à toute vie humaine, les scandales qui sans fin ébranlent les institutions les plus respectables, les maladies et virus en tout genre, contribuent largement à un sentiment diffus de profonde désespérance, d’inquiétude.
La condition humaine peut-elle aujourd’hui être enviée ? L’homme peut-il être aimé ? Peut-il s’aimer ? N’aurait-il d’autre issue que de rejoindre les rangs de ceux qui n’ont, comme religion, que la protection de la nature et la préservation absolue de la vie des animaux jusqu’à leur fin naturelle ? Oui, l’homme peut-il encore être aimé ? La question mérite d’être posée, alors que débute le temps de pénitence du carême.
Celui-ci s’ouvre en effet par le rite évocateur de l’imposition des cendres sur le front, associé à la formule : « Souviens-toi homme, que tu es poussière et que tu retourneras en poussière. » La poussière est-elle aimable ?
La cendre, très en usage dans la plupart des religions antiques, fut souvent associée à la poussière comme en témoigne par exemple la traduction grecque de la Bible à partir de l’hébreu et appelée la Septante, car réalisée par 72 anciens, près de trois siècles avant la naissance de Jésus-Christ. En hébreu, les deux mots ‘âphâr, « poussière », et ’éphèr, « cendre », sont phonétiquement très proches. Cela correspond bien au génie de la langue hébraïque, qui exprime volontiers une seule idée par deux mots sémantiquement proches, et plus volontiers encore s'ils sont phonétiquement proches.
La cendre symbolise tout à la fois, et le péché de l’homme et sa faiblesse. Au seuil de ces jours, écoutons Isaïe appeler l’idolâtre un « amateur de cendres. » (Is 44,20) De lui, le Sage dit : « Cendres, que son cœur ! Plus misérable que la poussière, sa vie ! » (Sg 15,10) Comment ne pas recevoir ces paroles, nous qui oublions si facilement notre condition de pécheur. Ô homme, si tu acceptes de te souvenir que tu es poussière, quelles sont donc tes idoles ? Quels sont les actes, les manières de penser, de voir, les compromissions qui, dans ta vie, ne plaisent pas à Dieu, et dont au fond tu ne prends pas, ou tu ne veux pas prendre, les moyens de te séparer ?
Quelles perspectives pour le pécheur endurci ? La Bible n’hésite pas à affirmer que les orgueilleux se verront « réduits en cendre sur la terre » (Ez 28,18), et que les méchants seront piétinés comme cendre par les justes. (Ml 3,21)
En face de l’homme hautain, se tient aussi celui qui reconnaît sa condition, qui accepte sa faute. Tel est Ben Sirac : « De quoi pourrait s’enorgueillir celui qui est terre et poussière, affirme-t-il, alors que ses entrailles pourrissent déjà de son vivant ? » (Si 10,9)
Le chemin du désespoir, qui semble la seule issue pour le vivant, n’est pourtant pas selon le plan Dieu. Souvenons-nous de l’intercession d’Abraham pour les pécheurs de Sodome, et de l’interminable tractation en vue d’éviter la destruction de la ville. Oserons-nous nous adresser à Dieu ? Abraham le fait : « J’ose encore parler à mon Seigneur, moi qui suis poussière et cendre. » (Gn 18,27)
Rappelons-nous, avant de commencer le temps d’entraînement du Carême, que la Bible est animée d’une ferme conviction : l’audience de Dieu n’est jamais fermée à qui se reconnaît pécheur et implore le pardon. Au long de ses pages, la misère humaine apparaît comme un titre à implorer la miséricorde.
Déjà retentissent à nos oreilles les échos de l’Exsultet pascal : « Ô heureuse faute qui nous a valu un tel rédempteur. »
Tout homme devenu par sa faute fils de colère, se souvient qu’il a été appelé à renaître dans les eaux du baptême. Il se rappelle que les flots de la miséricorde divine ne demandent qu’à irriguer toute vie.
Pouvons-nous tergiverser ?
L’appel du Seigneur retentit ce matin par la bouche du prophète Joël :
Revenez à moi de tout votre cœur, dans le jeûne, les larmes et le deuil ! Déchirez vos cœurs et non pas vos vêtements, et revenez au Seigneur votre Dieu, car il est tendre et miséricordieux, lent à la colère et plein d’amour, renonçant au châtiment.
(2, 12-13)
Telle est la carte d’identité de Dieu : il est le tendre, le miséricordieux ; celui qui est lent à la colère et plein d’amour.
Que Marie, Mater dolorosa, nous garde au pied de la Croix.
Ayez pitié de nous, Seigneur ! Saint, vrai et joyeux Carême.
Amen.