émerveillés...
Publié le 8 Février 2008
"Tu voyages beaucoup, écrivait Silésius, tu es à l'affût de tout; si tu n'as pas croisé le regard de Dieu, tu n'as rien vu."
Par leur avoir, leur pouvoir, ou leur savoir, les hommes se rendent aveugles. Pour voir la beauté quand elle passe sous nos regards, comme l'aveugle de Siloé, il faut laver son regard de toutes images et représentations anciennes. Tout homme est un aveugle qu’il faut guérir de sa cécité. Pour voir autrement, il faut se rafraîchir le regard.
Notre regard est toujours marqué par notre histoire, entaché de nos peurs et de nos désirs de pouvoir il n’est pas toujours gratuit et innocent. Avoir un regard toujours neuf ne veut pas dire naïf, il y a émerveillement et émerveillement, celui de l’enfant n’est pas celui du vieillard; il ne s’agit pas ici de faire l’économie de la critique, mais de savoir la dépasser, car la critique de la critique, c’est de continuer à s’émerveiller comme un enfant même si on est lucide comme un adulte, sinon on tombe vite dans l’absurde et le désespoir.
S'émerveiller, c’est de dépasser le rien, et espérer qu’au-delà du rien, il y a quelque chose plutôt que rien, et ce petit-rien n'est pas rien parce qu'il change tout.
"Si parfois nous ne voyons plus rien, cela ne signifie pas qu'il n'y a rien derrière ce rien! Parfois il faut savoir attendre dans la nuit du rien et lever les yeux pour voir un chamois sur une arête. Si le monde nous paraît absurde, ce n'est peut-être pas le monde qui est absurde mais notre regard sur le monde, disait Gaston Berger. Nos illusions d'optique font que nous prenons le réel pour un mur, un écran ou un miroir, comme Narcisse, alors qu'il est une fenêtre et un vitrail dans un sanctuaire. Comme les hébreux au désert, ne nous fabriquons pas avec nos discours et nos images des idoles qui nous empêchent de voir plus loin. Le petit écran de la télévision n'a-t-il pas souvent remplacer la vision de la vie concrète. On croit parce qu'on a vu à la télé, comme dans le temps, on croyait parce que monsieur le curé l'avait dit le dimanche. L'illusion n'est-elle pas pour beaucoup de nos contemporains, plus vrai que le réel?
Heidegger écrivait: "L'acte de voir est la seule vérité. Il n'y en a pas d'autre. Si je sais regarder un arbre, un oiseau, un beau paysage ou le sourire d'un enfant tout est là. Je n'ai plus rien à faire de plus. Mais cette vision de l'oiseau est à peu près impossible à cause de l'image que l'on a construite non seulement quand il s'agit de la nature, mais aussi quand il s'agit de nos semblables. Et toutes ces images nous empêchent véritablement de voir et de ressentir"
Regarder, c'est garder, c'est monter la garde, non pour prendre l’autre en flagrant délit mais pour se laisser surprendre. Regarder, c’est devenir gardien de l'être, c'est veiller dans l'attente d'une "sensation vraie" comme dit Cézanne. " Une once de réel suffit pour qui sait voir ", écrit Bobin dans le Très Bas. Mais nous sommes aveugles et sourds aux appels de l’être. Nous ne souffrons pas comme disait le poète Holderlin d’une myopie, mais d'un manque de lumière. Mais la guérison ici est de savoir faire de ce manque de lumière une attente, pour devenir capable de l’accueillir quand elle pourra naître en nous.
françois Darbois