être un enfant, la voie de la sainteté.
Publié le 14 Février 2008

... Ce sens de l'émerveillement est aussi le fond de l'âme chrétienne, son chant intime et le chant intime de l'Eglise: sans lui, on grince, on sonne faux, on tombe infailliblement dans les hérésies clandestines. (on le perçoit trop dans le monde tradi-intégrissime: un monde coincé hermétiquement fermé à l'émerveillement).
Seuls les coeurs d'enfant reçoivent le Royaume... et nous n'avons pas , ou n'avons plus, un coeur d'enfant.
Il n'y a pas d'autre malheur sur terre. Dieu est un grand Enfant, un Enfant infini: Il ne peut vivre qu'avec des enfants. Si nous ne le sommes plus, il faut le redevenir...
Un coeur d'enfant est un coeur indomptable, qui n'accepte pas de vivre en de-çà d'une certaine magnificence. L'Evangile ne demande pas de faire marche arrière et de renoncer à ces horizons infinis pour se réconcilier avec la grisaille monotone des réalités de fer, mais de s'arracher aux médiocrités qui trainent encore dans nos rêves, et de désirer beaucoup plus "que tout ce que nous pouvons convoiter ou même concevoir". C'est donc au-delà des rêves de notre enfance, mais à travers eux, que nous revevrons le pressentiment du Royaume, et c'est en allant jusqu'au bout de cette piste d'envol que nous décollerons pour nous élever au-dessus de tout rêve et de toute réalité visible, et plonger avec la dureté de la foi au coeur du monde invisible.
Lorsque Jésus disait::" Laissez venir à moi les petits enfants", il ne s'agissait pas d'enfants "spirituels" mais bien réels, avec les défauts peut-être qui faisaient horreur à st Augustin, mais aussi l'élan profond et la joie de vivre qui se cache derrière ce qu'on appelle les illusions et les naïvetés de l'enfance.
Devant les choses, la vie, l'eau, la lumière, l'enfant qui les voit pour la première fois s'émerveille toujours - et c'est lui qui a raison, c'est lui qui nous dit ce qu'elles sont vraiment, et le tourment des poètes n'est rien d'autre que de retrouver cet émerveillement, si facilement et définitivement perdu par les adultes.
Comment s'accomplit un tel naufrage? Il semble que ce soit sous l'effet de la convoitise: pour s'émerveiller devant la vie, il ne faut pas vouloir s'en emparer. L'homme qui part à la conquête du monde, les collectivités, les doctrines, les mystiques qui partent à la conquête du monde, vieillissent prématurément le coeur humain et le rendent foncièrement incapable de ce regard virginal et immaculé, infiniment pauvre, infiniment respectueux et splendidement audacieux, qui nous révèle seul la vraie dimension et la vraie couleur des choses: à savoir qu'elles sont merveilleuses, dans leur dépendance à l'égard du Créateur - regard incapable par conséquent de se laisser détourner de Dieu par une splendeur inaccessible à tout esprit de possession, et qui ne devient sensible qu'à des yeux parfaitement dépouillés.
Seul celui qui renonce au monde possède la pierre précieuse de la vie éternelle, et seul celui qui possède cette pierre connait combien le monde auquel il renonce est merveilleux et digne d'amour: car il le met à sa vraie place, et par là même reçoit le centuple du mensonge auquel il renonce. Il n'y a pas à opposer les joies du monde à celles du ciel - Dieu ne révélant les vraies joies de la création qu'à ceux qui lui donnent leur coeur: ....il y a donc plutôt à opposer avec st Paul, ceux qui semblent n'avoir rien, et qui ont tout, à ceux qui veulent avoir tout, et qui n'ont rien. Celui qui veut sauver son âme la perd, en perdant Dieu, et celui qui perd son âme la retrouve, et le monde avec, parce qu'il retrouve en face d'elle et en face du monde l'émerveillement de l'innocence devant la moindre des créatures.
Et bien que les adultes soient tristes, la vraie tristesse du monde leur est aussi cachée que sa beauté. Nous ne savons pas exulter comme Jésus devant le moindre rayon de lumière, le moindre lis des champs vêtu par le Père, et les oiseaux du ciel en recevant leur nourriture...mais nous ne savons pas non plus gémir et porter comme une écharde la moindre injustice, le moindre mensonge, la moindre impiété qui se produit dans le monde: il faut que le mal touche nos nerfs et notre sensibilité pour nous faire frémir; nous ignorons ce frémissement de l'âme qui emportait un saint Dominique et lui faisait crier:" que deviendront les pécheurs?".. Nous sommes insensibles et comme hébétés devant la réalité affreuse et merveilleuse qui nous entoure: notre vie spirituelle est un long réveil, une suite d'Annonciations qui nous arrachent à notre inconscience et nous révèlent petit à petit ce qui est, la splendeur de Dieu et l'horreur du péché.
... Ce sens de l'émerveillement est aussi le fond de l'âme chrétienne, son chant intime et le chant intime de l'Eglise: sans lui, on grince, on sonne faux, on tombe infailliblement dans les hérésies clandestines.
Devenir un enfant, c'est aussi accepter de perdre pied. Il faut approcher du Royaume avec la mentalité "décontractée" de celui qui n'a aucune idée préconçue, aucun programme établi à l'avance..délicieuse au spectateur qui entend les trois coups avant le lever du rideau.. délicieuse pour une mentalité d'enfant, et pour elle seule. Elle se laisse porter vers l'inconnu avec joie, justement parce que c'est l'inconnu et qu'elle sait d'avance au fond de son coeur que tout est merveilleux, même et surtout ce qu'elle ne comprend pas, parce que son coeur est un coeur d'émerveillement. Ne cherchons pas ailleurs la racine de la confiance, de l'abandon et de l'aisance avec laquelle les saints se meuvent dans l'obscurité de la foi.
Il ne faut évidemment pour cela mettre aucune limite à la distance et à la vitesse à laquelle le Saint-Esprit pourra nous entraîner.
Il faut accepter d'être dérouté, désemparé ou, pour employer une expression familière qui prend son sens littéral, déboussolé. Accepter que s'envolent petit à petit toutes les cartes routières dont nous avons fait provision... pour que Dieu nous entrâine dans le pays où il n'y a plus de route.
R.P. Molinié o.p. un feu sur la terre.