Dieu est Amour.

Publié le 29 Juillet 2019

 

   ... Et qu'aime-t-il, ce Dieu qui substantiellement est amour? - Il aime, comme tout héros de l'amour, ce qu'il y a de plus élevé, de plus beau, de plus total, de plus enthousiasmant et de plus magnifique; il aime, lui, le Meilleur, ce qu'il y a de meilleur; car le meilleur et le meilleur amour se répondent. Or le meilleur, où est-il?

   Le meilleur, c'est ce qui n'est pas un bien,  c'est-à-dire participant du bien, reflétant le bien, nous montrant un degré du bien; mais ce qui, en dehors de toute participation, de tout degré, étranger à toute négation et sans nul contour limitateur, montre le bien dans son essence, l'épanouit totalement, n'en laisse rien ignorer ni désirer, et en fait une gerbe où les distinctions s'abolissent par le serrage d'un lien qui ramène tout à l'unité de plénitude. Ce bien-là est unique autant que souverain; ce bien-là est au bout de la perspective des biens : c'est vers lui qu'on s'oriente en les traversant ; à lui sont suspendus par le désir, disait Aristote, le ciel et toute la nature. Mais ce philosophe ajoutait: Dieu même, Dieu amour est suspendu à ce bien-là qui le représente sous l'une de ses faces. Dieu aime le meilleur, disions-nous, et comme le meilleur, c'est Dieu , Dieu aime Dieu, entièrement retourné sur lui-même. Il s'aime infiniment, parce qu'il est infiniment aimant, et il doit s'aimer infiniment, parce qu'il est infiniment équitable, sage, désintéressé, allant chercher le bien là où il est pour l'aimer selon sa mesure - à lui, bien, qui ici n'a pas de mesure.

   Mais précisément parce qu'il s'aime ainsi, Dieu aime tout, de même que se connaissant, il connaît tout, lui, source d'où tout émane, centre de rayonnement de toute vérité, de toute bonté, parce qu'il est le point de départ de tout être. Dieu aime assez son être pour le communiquer, son bien pour le répandre, sa vérité pour la diffuser. Il ne peut s'augmenter au dedans: il se dilate au dehors. La création entière, animée ou inanimée, et, procédant ainsi de Dieu, elle y demeure suspendue comme le rayon à son soleil; elle en reproduit l'éclat plus ou moins ; elle y puise sa chaleur et la communique; elle y trouve sa consistance.

   Dieu donc, en aimant Dieu, aime tout ce qui est de Dieu. Ne pas aimer ses créatures, ce serait , pour Dieu, vouloir qu'elles ne fussent point.

   Rien n'est sans ton octroi, ô Amour, universellement père!  De quelle paternité pourrions-nous jouir, si celui-ci se récusait " de qui se dénomme toute paternité au ciel et sur la terre" ? ( Ephés., III,15)

   Seulement, le caractère de l'amour divin est tel, qu'il n'a pas à présupposer ce à quoi il doit s'attacher, comme nous aimons, nous, ce qui est aimable sans nous et précède, pour les justifier , nos complaisances.

   L'amour de Dieu est créateur de ce qu'il doit aimer. L'amour de Dieu donne l'amabilité , avant de donner l'amour. Il en donne le commencement, et il en donne le progrès , car le progrès n'est que la chose devenue mieux elle-même. Si donc l'amour de Dieu nous donne l'être et se constitue ainsi le fondement de sa valeur qui permettra les complaisances de l'amour, il donne aussi le plus être, le meilleur être, qui apportera le meilleur amour.

   O amour divin, comment pourrais-je me glorifier! De toi je tiens tout, et d'être , et d'être ton objet, et de pouvoir le devenir davantage. En me contemplant, tu contemples ta vérité en l'un de ses cas; en me jugeant, tu pèses dans l'intègre balance une parcelle détachée de ton Etre; en m'aimant, tu adresses encore à toi, par un détour, un hommage qui n'est dû qu'à toi seul, mais dans lequel tu me comprends, au nom de l'amoureuse unité qui fait de moi un humble toi-même. Il reste que moi aussi je te glorifie en moi, et que j'y trouve mon honneur emprunté, ma force d'ascension et ma joie provisoire, ô mon Amour voilà, ô mon Mystère!

   C'est dès l'éternité que Dieu aime ses créatures; car dès l'éternité il les porte en ses trésors d'être, en sa pensée, en sa puissance. Qu'elles naissent un jour, cela est nouveau pour elles, mais non pas nouveau pour Dieu. L'amour de Dieu n'est donc pas nouveau non plus, même en ce qui les concerne, bien que nouvellement elles en jouissent :" Je t'ai aimé d'un amour éternel, " disait au nom de Jéhovah le prophète  (Jérémie, XXXI, 3)

   Ces créatures qu'il aime toutes, toutes éternellement, Dieu les aime aussi de tout près et dans l'intime. L'amour divin n'est pas une régence lointaine.  Comment serait-il lointain, puisqu'il est créateur?

   La création se fait d'infiniment près. Il n'en est pas comme des actions qui utilisent des intermédiaires, ni même comme des fabrications directes qui supposent une matière, ignorant dans son fond ce qu'elles pétrissent et ne pouvant qu'utiliser des propriétés partielles. La création part du rein, c'est-à-dire qu'elle donne tout. Elle est donc présente à tout. Si elle est oeuvre d'amour, elle applique donc l'amour à la racine de l'être, et celui-ci sera aimé plus intimement qu'il ne pourra s'aimer lui-même; car je ne suis pas intime à moi autant que Celui qui fait que je sois moi.

   Mais ces créatures aimées ainsi gratuitement, universellement, dans l'intime et éternellement, sont-elles aimées également? Oui, sans doute, si l'on parle de l'amour divin pris en lui-même, dans son acte éternel et immuable, dans son acte égal à Dieu. En ce sens là, Dieu nous aime tous infiniment; car Dieu ne fait rien que sous le mode de l'infini qui est celui de son être. Mais cet amour, qui est infini, ne se donne pas des objets infinis et ne leur communique pas des biens infinis. De même, cet amour, toujours égal en lui-même, ne se donne pas des objets égaux, et ne leur communique pas des biens égaux. Dieu aime, en ce sens-là , inégalement, comme il aime partiellement. Ainsi le veut l'ordre; ainsi le veut ce meilleur bien communiqué par le Créateur à son oeuvre.

   Le meilleur bien de la création, en effet, ce n'est pas celui de tel être, quelque parfait qu'il soit, c'est celui de l'ensemble, sous les auspices de l'ordre, de l'harmonie, qui de la multiplicité émiettée fait l'unité riche.

    Dans une oeuvre orchestrale, ce qui vaut le mieux, ce n'est pas tel accord, ce n'est pas telle mélodie, c'est le déploiement sonore, dont l'unité est la marque du génie plus encore que sa richesse. Tout n'est pas là au même plan; il y a des sacrifices, il y a des silences quelquefois pailletés de légers bruits; et l'unisson entraînant ou la polyphonie émouvante ont pour support les assises calmes d'un travail orchestral tout uni.

   Ainsi l'amour divin a-t-il traité son immense symphonie créatrice.

    Dieu aime mieux sa créature, en aimant moins - en ce sens qu'il lui donne moins - telle de ses créatures. Et celle-ci, moins aimée prise à part, doit se trouver aimer en toutes, aimée dans le tout dont elle est solidaire, comme le trait de flûte est aimé dans la symphonie sans qu'il s'en détache. 

   Tous, pour chacun , chacun pour tous, cela est vrai de l'amour comme des services. " Que je jouisse de toi , frère, dans le Seigneur, " écrivait Paul à Philémon: chaque petit être peut pousser ce cri vers les grands êtres objet de son admiration et de son envie vertueuse, vers l'infini des sphères et le plus grand infini des esprits.

   Tout cela est un avec lui, et l'averse des grâces que l'amour infini fait pleuvoir est réjouissante pour l'herbe comme pour l'immense prairie où elle pousse, enracinée à la Terre vivante, buvant la sève qui nourrit tout.

   Que sera-ce, si par le Christ, Dieu a trouvé le moyen d'unir ses créatures en valeur non seulement entre elles, mais avec soi, leur cédant sa divinité incarnée, afin de pouvoir aimér, dans cette chair humiliée et douloureuse, tout l'infini qui est son propre objet!

   O Dieu! vous avez aimé le monde jusqu'à lui donner votre Fils unique; mais surtout vous lui avez donné votre Fils unique afin de pouvoir l'aimer davantage, l'aimer à fond, l'aimer en l'Un de vous Trois, ô Trois en Un, l'aimer infiniment et réaliser comme une identité d'amour qui permettra au Sauveur de dire : " Si quelqu'un m'aime, mon Père aussi l'aimera, et nous viendrons à lui, et nous établirons en lui notre demeure."

   Au baptême du Jourdain, la voix qui se fit entendre disait :" Voici mon Fils bien-aimé, en qui j'ai mis mes complaisances. " Cette parole, en son sens complet exige l'incarnation , elle nous ouvre , sur l'amour de Dieu, une vue large. Le Christ résume l'humanité pour l'amour, comme il l'a résume pour la douleur expiatrice et le salut; par lui, elle peut aimer; par lui, elle peut être aimée avec une plénitude qui ne laisse rien désirer à l'objet divin, qui place l'humanité elle-même au niveau des échanges ineffables que nous aurons à contempler dans la Trinité. Et comme l'humanité traîne avec soi son univers conjoint: substance morte ou demi-vivante dont elle est l'âme, c'est tout le créé qui par l'homme racheté se trouvera faire partie de la famille de Dieu, l'aimant par soi ou par procuration et recevant son amour comme le reçoit au dedans de Dieu même le Bien qui lui est identique.

   O adorable élargissement de ce qui en soi n'était qu'un rien et en qui le Tout divin va reposer ses complaisances! Le néant s'est dilaté pour recevoir l'être; Dieu agrandit la coupe pour y verser la divine liqueur.

Amour, amour, quand tu nous tiens,

on peut bien dire: Adieu prudence!

    Mais non ! l'amour divin donne à l'amour humain des leçons de prudence autant que d'excès généreux. Il aime infiniment par nature; il ne pouvait aimer infiniment ce qui est un support trop fragile pour ce poids: il y ajoutera cet étai invincible, la croix, dont les bras divinement encastrés peuvent porter le monde. Mais c'est le ciel même, que la croix porte quand tu t'y appuies, douloureuse Cariatide, la tête chargée du coussinet d'épines, tous tes membres arc-boutés à ton bois sanglant.

   Avec ces forces complémentaires, l'humanité peut soutenir l'infini et le mêler à ses destinées; Dieu s'y repose; Dieu s'y complait; Dieu s'y agite dans l'effort du travail. Il faudra bien que nous voyions cet amour à l'oeuvre; mais tout d'abord il fallait le nommer. Nous l'avons nommé Dieu: il faudra le nommer d'un plus propre nom, en nommant et en adorant, après l'amour qui est nature, en Dieu, l'amour qui est personne: le Saint- Esprit.

 

rp Sertillanges.

 

Rédigé par Philippe

Publié dans #spiritualité

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