Vacances : ad laudes : l'homme, prêtre de la création. (5)

Publié le 7 Juillet 2020

 

   Saint Thomas a dit de la prière " qu'elle est le propre de la créature raisonnable. "

   Il nous semble bien que le monde subit jusque dans ses plus hautes profondeurs la religieuse impression de la majesté de Dieu, et se tient sous sa main dans la respectueuse attitude de la prière. Le Prophète royal adresse à l'univers de solennelles provocations :" Que toute la terre vous adore, ô Seigneur , et chante vos louanges: Omnis terra adoret te et psallat tibi".  On dirait qu'il est impatient de voir tout ce qui est, tout ce qui se meut, tout ce qui vit, tout ce qui respire, tressaillir sous le feu des regards divins, et d'entendre sortir des entrailles de la nature, un hymne grandiose et sublime comme l'oeuvre de Dieu. 

   De son côté, l'Eglise invite la lumière et les ténèbres, les vents et les tempêtes, les frimas et les neiges, les pluies et la rosée, les fleuves et les mers, les montagnes et les vallées, les arbres de la plaine et des collines , les bêtes sauvages et les animaux des champs, toutes les créatures , à bénir le Seigneur. 

   Mais en réalité , aucune créature ne chante, ne bénit, n'adore, ne rend grâces, ne prie que par la bouche sacerdotale de l'homme, dont c'est la condition et le devoir d'exercer, au nom du monde, l'auguste office d'une représentation universelle et de rendre à Dieu la gloire qui lui est due. 

   En effet, ni par leur obéissance passive à la loi qui les régit, ni par la rectitude de leurs mouvements, ni par l'harmonie de leurs rapports, ni par l'accord de leurs voix, les créatures inintelligentes ne peuvent glorifier Dieu comme il veut être glorifié; car elles n'ont ni la conscience de leurs actes, ni la connaissance de leurs destinées, ni la faculté d'agir librement. Ce qu'elles font, Dieu l'accomplit en elles avec une inflexible rigueur, lui seul a conscience de ce qu'il opère, et connaissance du terme suprême de ses opérations. Or, rien de tout cela ne suffit à la gloire extérieure de Dieu; car la gloire, dit saint Thomas, suppose une connaissance claire d'où procède la louange. Une connaissance claire de l'être glorifié, la conscience de l'acte qui glorifie, et, pour que cet acte soit revêtu de la splendeur du mérite, une force originale et personnelle qui soit libre de la produire. Voilà la gloire telle que la comprend instinctivement l'humanité. Instinctivement tout homme qui veut être glorieux désire les hommages d'un être intelligent et libre. Et si les Alexandre, les Scipion, les César, tous les grands capitaines du monde, n'avaient eu pour spectateurs et acteurs de leurs triomphes que les chevaux, les armes , et les étendards des vaincus, les arbres des routes et les monuments des capitales, la terre entière et même tous les astres du firmament, s'ils n'avaient entendu les peuples célébrer leur vaillance et chanter leurs hauts faits, ils seraient mort de dépit sur leurs trophées. 

   Or, ce que sent instinctivement l'homme revêtu de la majesté sanglante du vainqueur, Dieu le doit vouloir, lui qui est revêtu de la majesté sans tache du créateur et du bienfaiteur. Et parce que l'homme est capable de le connaître, non pas sans obscurité, mais assez clairement pour être convaincu de sa grandeur et de sa libéralité infinies, puisque l'homme possède en propre le domaine de ses actes, c'est à l'homme que Dieu s'adresse et demande, pour sa gloire, une prière d'adoration et d'action de grâces. Aussi les anciens, dans leur langage naïf et concis , avaient-ils excellemment appelé l'homme un animal religieux. 

   L'homme est obligé à la prière pour son compte personnel, en raison de sa nature; il est obligé encore pour le monde entier, en raison de sa dignité. Ne pouvant glorifier Dieu par un acte intelligent et libre, les créatures ont besoin d'être représentées dans l'accomplissement de ce grand devoir; l'homme est leur prêtre. Sa nature est une récapitulation de toutes les perfections de l'univers, un centre vivant où les bienfaits de Dieu se donnent rendez-vous, un petit monde. Dans ce petit monde, le grand monde subit l'impression réfléchie de la majesté divine, reconnaît la libéralité de son auteur et les attentions de la Providence, s'élève vers Dieu , adore et rend grâces. L'homme , en un mot, fait prier l'univers. Ce beau mot d'univers, dont nous nous servons pour désigner l'ensemble des êtres, leurs relations et leur harmonieuse tendance vers le centre divin, ne peut être justifié qu'autant que l'homme 

 En donnant un langage à toute créature

Prête pour adorer sa voix à la nature.

(Lamartine)

   Comme l'artiste dont les mains rapides s'abattent, marchent, volent , se croisent sur le clavier à l'aide duquel il exprime ses conceptions savantes, la poésie de ses rêves, la fièvre de ses sentiments, l'homme s'empare de l'orgue immense de la création. Sous l'action mécanique des lois, cet instrument sublime ne fait entendre que des sons monotones qui expirent aux portes des demeures éternelles ; sous l'action de l'âme humaine, son chant s'anime et devient une harmonie de pensée et d'amour qui pénètre les cieux et mêle aux cantiques des anges ses religieux hosannah. 

   Après avoir invité la nature à louer Dieu, le Psalmiste avait raison d'ajouter :" Dirigatur , Domine, oratio mea sicut incensum in conspectu tuo". Que ma prière, ô Seigneur, s'élève vers vous comme un flot d'encens. ps. CXL

   Semblables à des urnes gigantesques, la terre et les astres se balanceraient en vain dans les espaces; Dieu détournerait son regard comme d'un spectacle indigne de sa très sainte majesté, s'il ne voyait sortir de ces encensoirs, toujours en mouvement, le parfum de nos adorations et de nos actions de grâces. 

   L'homme étant le prêtre de la création, nous devons conclure que sa prière, lors même qu'elle se borne à adorer Dieu et à le remercier de ses bienfaits, joue un rôle important dans le gouvernement divin. Elle se produit en vertu d'une loi éternelle et immuable à l'accomplissement de laquelle l'existence de la nature entière est, en quelque sorte, suspendue. 

   Rien ne subsiste dans le monde, rien ne se meut, rien ne vit, rien ne progresse, rien ne tend à la perfection qu'en vertu de l'action providentielle de Dieu; mais l'action providentielle de Dieu ne persévère qu'en vertu du mouvement religieux par lequel la créature retourne à son principe, et lui offre à cueillir, dans son oeuvre même le seul bien qui soit digne de lui: le bien de sa gloire. Supprimons ce bien, la créature n'a plus de fin, et Dieu peut lui dire ce qu'il disait jadis à son peuple :" Tu m'abandonnes, je vais t'abandonner aussi. " Populus iste derelinquit me... et derelinuquam eum . (Deut, cap XXXI,16,17)

   Il est vrai qu'une seule créature raisonnable peut, par ses hommages, retenir la Providence enchaînée à son gouvernement, tant son âme est supérieure au reste du monde. Mais il est vrai aussi que si, par impossible, toutes les âmes à la fois cessaient de prier, Dieu laisserait tomber de ses mains royales les rênes de l'univers, et, en un clin d'oeil , tout être s'évanouirait. 

   Songeons à cela: lorsque, spectateurs immobiles des merveilles du monde, nous arrêtons par une résistance impie les admirables élans de notre âme vers Dieu, nous ne sommes plus à notre place, nous devenons inutiles, que dis-je ? nous devenons nuisibles, car nous conspirons contre nous-mêmes et contre la nature entière. Au contraire, lorsque notre âme , par l'adoration et l'action de grâces monte vers le Père des Cieux, nous devenons , en le glorifiant, les coopérateurs glorieux de son gouvernement. 

   Pénétrés de ces considérations, rentrant en nous-mêmes, élevons notre âme vers Dieu et disons-lui :"

 - O mon Dieu ! mon Maître ! mon Père! mon bienfaiteur ! Beauté infinie ! Bonté sans rivage ! Ne vous ai-je pas trop longtemps méconnu et oublié ? Vous étiez près de moi, vous m'appeliez et je passais des jours entiers sans rien vous dire. Ce n'était pas malice de ma part, mais négligence et préoccupation des choses, qui, pourtant n'ont de prix que parce que vous me les avez données.

   Trop longtemps je fus coupable et ingrat; pardonnez-moi, ô mon Dieu! Désormais, je ne passerai pas un seul jour de ma vie sans vous dire: O unique beauté digne de nos hommages, je vous adore ! O bonté libérale et magnifique, je vous remercie de tous vos bienfaits ! Gloire à vous, Seigneur, dans le ciel et sur la terre ! Nous vous louons, nous vous bénissons, nous vous adorons; nous vous rendons grâces pour votre plus grande gloire . Adoramus te, gratias agimus tibi, propter magniam gloriam tuam.

RP Monsabré. op 

Rédigé par Philippe

Publié dans #spiritualité

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