et vitam aeternam.
Publié le 27 Octobre 2009
"il est certain que l'âme séparée, n'ayant plus son corps, n'a plus les opérations sensitives des sens externes et internes, en particulier de l'imagination, car celles-ci sont les opérations d'un organe animé. Et même elle n'a plus que radicalement les facultés sensitives, car celles-ci n'existent actuellement que dans le composé humain ; l'imagination humaine, comme l'imagination animale, n'existe plus actuellement après la corruption de son organe, de même les habitudes des facultés sensitives, par exemple les souvenirs de la mémoire sensitive, n'existent plus actuellement dans l'âme séparée, mais seulement de façon radicale. Donc une âme séparée ne voit pas sensiblement, n'entend pas, n'imagine plus.
Par contre, elle conserve actuellement ses facultés supérieures, purement spirituelles : l'intelligence et la volonté, et les habitudes de celles-ci. Mais il faut faire ici une différence entre les âmes réprouvées et les autres. Les âmes réprouvées peuvent conserver certaines sciences acquises, mais non pas les vertus, soit acquises, soit infuses : elles ont perdu la foi infuse et l'espérance infuse. Au contraire les âmes du purgatoire conservent la science acquise qu'elles avaient et les vertus soit acquises, soit infuses des facultés supérieures, notamment la foi, l'espérance, la charité, la prudence, la religion, la pénitence, la patience, la justice, l'humilité. C'est très important.
De même l'âme séparée conserve les actes de ces facultés supérieures et des habitudes qui sont restées en elle. Cependant l'exercice de ces actes est en partie empêché, parce qu'il n'y a plus le concours de l'imagination, ni de la mémoire sensitive, concours qui est très utile pour se servir des idées abstraites des choses sensibles. ....
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Par les idées infuses, qu'elles ont reçues, elles connaissent non seulement l'universel, mais les singuliers, par exemple les personnes restées sur la terre, qui ont un rapport spécial avec elles, soit par les liens de la famille ou de l'amitié, soit par une ordination divine. La distance locale n'empêche pas cette connaissance, qui ne provient pas des sens, mais des idées infuses (cf. ibid., a. 4 et 7). Ainsi l'âme séparée d'une bonne mère chrétienne, se rappelle au purgatoire les enfants qu'elle a laissés sur la terre.
Ces âmes connaissent-elles ce qui arrive de nouveau sur terre ? Saint Thomas (ibid. a. 8) répond naturellement elles l'ignorent, car elles sont séparées de la société de ceux qui sont encore en état de voie. Cependant, s'il s'agit des âmes bienheureuses, il est plus probable qu'elles connaissent, comme les anges, ce qui arrive sur la terre, surtout à ceux qui leur sont chers ; cela fait partie de leur béatitude accidentelle.
Celles qui sont au purgatoire peuvent avoir soin de nous, même si elles ignorent notre état actuel, comme nous prions pour elles, bien que nous ignorions ce qui leur arrive, par exemple si elles sont encore au purgatoire ou si elles sont déjà délivrées.
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Quelle est la durée des âmes séparées ? (Saint Thomas traite cette question Ia, q. 10, a. 4-6, surtout a. 5. c. et ad. Im (Cf. CAJETAN, JEAN DE SAINT THOMAS, GONET). On distingue trois principales durées : le temps, l'éternité et une durée intermédiaire appelée l'aevum ou l'éviternité dont nous allons parler.
Sur terre notre durée est le temps continu, qui est la mesure du mouvement continu, surtout du mouvement apparent du soleil ; c'est ainsi que nous distinguons les heures, les jours, les années, les siècles. - Lorsque l'âme est séparée de son corps et n'est pas encore béatifiée, elle a une double durée : l'aevum, l'éviternité et le temps discontinu. L'éviternité est la durée de ce qu'il y a d'immuable dans les anges et les âmes séparées, la durée de leur substance, de leur connaissance naturelle de soi et de Dieu et de l'amour qui en résulte. L'éviternité ne comporte pas de variété, de succession, c'est un perpétuel présent ; mais elle diffère de l'éternité, parce que de fait elle a commencé et parce qu'elle est unie au temps discontinu qui suppose l'avant et l'après.
Il convient de se rappeler ces paroles de saint Augustin : « Unis-toi à l'éternité de Dieu et tu seras éternel ; unis-toi à l'éternité de Dieu et attends avec lui les événements qui se passent au-dessous de toi » (Comm. in Ps. 91). Considérons les divers moments de notre vie terrestre, non pas seulement sur la ligne horizontale du temps qui s'écoule entre le passé et l'avenir, mais sur la ligne verticale qui les rattache à l'unique instant de l'immobile éternité. Alors nos actes seront de plus en plus méritoires et accomplis par amour de Dieu, ils passeront du temps à l'éternité, où ils resteront inscrits à jamais au « livre de vie ».
Cet enseignement théologique sur les diverses espèces de durée, de la terre, du purgatoire et du ciel, permet de mieux distinguer, dès la vie présente, ce qu'on peut appeler le temps du corps et celui de l'âme.
Le temps du corps, c'est le temps solaire qui mesure la durée de notre organisme et de ce point de vue, quelqu'un qui a 80 ans est un vieillard, mais son âme peut rester très jeune.
Ainsi comme on distingue trois âges de la vie du corps : l'enfance, l'âge adulte, la vieillesse, on distingue chez le juste trois âges de la vie de l'âme : la voie purgative des commençants, la voie illuminative des progressants, et la voie unitive des parfaits.
Alors on comprend de mieux en mieux que chez beaucoup de ceux qui sont sauvés ou seront sauvés, il y a eu, au cours de leur vie terrestre, quelque grand acte qui n'a pas été rétracté dans la suite et qui a porté ses fruits, bien que peut-être il n'y ait eu rien de bien saillant après lui.
C'est ainsi que j'ai connu un jeune israélite, fils d'un banquier de Vienne en Autriche, qui vers l'âge de 25 ans, au moment de se décider à faire un procès au plus grand adversaire de sa famille, procès qui l'aurait enrichi, se rappela cette parole du Pater qu'il avait entendu quelquefois réciter. « Pardonnez-nous nos offenses, comme nous les pardonnons à ceux qui nous ont offensés ». Il se dit : mais si, au lieu de faire ce procès qui m'enrichirait, je pardonnais ! Et il pardonna complètement, en renonçant pour toujours à faire ce procès. Au même moment, il reçut la foi à tout l'Évangile, il fit l'ascension de cette montagne de lumière qu'est l'Évangile, par ce sentier qu'était cette parole du Pater. Dans la suite il devint prêtre, religieux dominicain, il mourut vers l'âge de 90 ans ; il n'y eut rien de particulièrement saillant dans sa vie ; mais son âme resta au niveau où elle avait été élevée au moment de son admirable conversion, et elle se rapprocha insensiblement de l'éternelle jeunesse qu'est la vie du ciel.
Nous devons être particulièrement attentifs à certains grands actes que le bon Dieu peut parfois nous demander ; il arrive qu'un grand acte de dévouement décide ainsi non seulement de toute notre vie spirituelle d'ici-bas, mais de celle de l'éternité. On juge d'une chaîne de montagnes par ses sommets, ainsi Dieu juge de la vie des justes.
R.P. Garrigou Lagrange .