souviens-toi
Publié le 17 Février 2015
Sans doute connaissez-vous la fable Le lièvre et la tortue de Jean de la Fontaine. Certain de remporter la course, le lièvre se disait avec confiance:" j'ai le temps, pourquoi me presser, allons cuillir ici un trèfle ou ailleurs un brin de romarin.."
Hélas, nous lui sommes un peu semblables:" pourquoi me presser, la conversion est chose coûteuse, exigeante, difficile; demain, il sera bien temps" !
L'Eglise, comme une vraie mère, pleine d'ans et d'expérience, sait trop combien cette folle pensée risque de nous perdre. Avec saint Paul, imaginons un stade où il nous faut courir pour remporter la palme: nous sommes là, tous, serrés, au coude à coude, pas un ne manque. Levons cependant la tête avant de nous élancer. Au-dessus de nous, une grande banderole, sur laquelle on peut lire ces mots que nous n'entendons jamais sans une sueur froide, sans un certain malaise: "
O homme, souviens-toi que tu viens de la poussière, et que tu retourneras à la poussière".
Voilà quels mots surmontent la porte d'entrée de la sainte quarantaine.
Ces paroles sont trop dures à entendre. L'Eglise le sait bien, elle le sait parfaitement, mais elle ne les répète pas moins, avec une conviction chaque année affermie. Elle connait notre légèreté, notre inconstance, elle sait trop nos oublis. Alors, elle nous rassemble afin que nul ne puisse s'excuser faussement et dire qu'il ne savait pas.
Mes frères, demain nous seront morts. Il ne faut pas le dire? Si, il faut le dire, et le redire encore! Qu'est-ce que notre vie, sinon un court passage. Prenons en exemple la foi et le Christianisme rayonnant de ce XVIIème siècle qu'on a appelé avec raison le grand siècle des âmes. Ces âmes-là, elles savaient regarder la mort en face, au-lieu de parler sans cesse d'autre chose! Mais comme le disait si finement Newman :" Nous savons tous que nous mourrons, mais au fond, nous n'y croyons pas!"
Aujourd'hui, donc, permettez que le sujet soit évoqué. Car si bientôt la main du prêtre répandra sur vos têtes ces cendres sombres et inconcistantes, puissions-nous comprendre toute la portée de ce geste.
Que sont-elles ces cendres? Ou plutôt, que furent-elles? Avant d'être réduites à rien, il s'agissait de rameaux verts, et il n'y a pas encore longtemps, ces branchages verdissaient dans de paisibles jardins. Ils y seraient peut-être encore, tout pleins de sève et de vigueur, si nous ne les avions coupés.Qui peut comprendre, comprenne.
Notre vie est fugitive, elle passe avec le temps. Et dans quelques jours, quelques mois, au mieux quelques années, la mort aura triomphé de notre résistance. " Comme on frissonne, écrit Pius Parsh, devant un tombeau ouvert, à voir près de quelques ossements, une poignée de cendres grises. Souviens-toi, homme! Tu es poussière,. Tu retourneras en poussière. Fragilité, caducité, voilà ce que signifie la cendre. La vie est éphémère, celle des autres, mais aussi la mienne."
Et qui alors se souviendra de nous? Si vous allez à Rome, allez voir, dans l'abside de Saint-Pierre, le monumental et somptueux tombeau du pape Urbain VIII Barberini: détournez votre regard de l'abondance des marbres pour regarder, au bas de la statue, un livre ouvert, le livre des vivants: vous y verrez la main squelettique de la mort qui y efface le nom du pape. Demain, pape, évêque, prêtre ou simple fidèle, nous serons oubliés, nous serons passés.
Sans aller jusqu'à Rome, quand vous pousserez vos pas jusqu'au cimetière tout proche, regardez bien ces tombes: sur beaucoup, vous ne pourrez plus lire même un nom.
Victor Hugo dans un célèbre poême, évoque à son tour les marins tombés en mer dont plus personne ne se souvient:"
" Puis votre souvenir même est enseveli. Le corps se perd dans l'eau, le nom dans la mémoire. Le temps qui sur toute ombre en verse une pluis noire, sur le sombre océan jette le sombre oubli. Bientôt des yeux de tous votre ombre est disparue , (...) Rien ne sait plus vos noms, pas même une humble pierre..."
Et Bossuet, un auteur plus catholique, ne s'exprime pas autrement:
" C'est bien peu de chose que l'homme. Le temps viendra où cet homme qui nous semblait si grand ne sera plus. Si longtemps soit-on au monde, y serait-on mille ans, il faut en venir là. Il n'y a que le temps de ma vie qui me fait différent de ce qui ne fut jamais. J'entre dans la vie avec la loi d'en sortir, je viens faire mon personnage, je viens me montrer comme les autres; après il faudra disparaître."
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Que les cendres que nous allons recevoir nous rappellent que nous sommes les petites créatures de Dieu, qu'il nous a voulus par amour et qu'Il nous appelle à aller à sa lumière par une conversion intérieure de nos âmes.
Des cendres à la lumière, c'est pour nous une montée joyeuse vers Dieu.
abbé Arnaud Moura Fssp