Dieu est un grand artiste: en face de l'amour, pour le faire ressortir, il pose la haine.
Il ne la fait pas; car la haine n'est pas; l'Etre ne fait que ce qui est ... mais il la permet. Comment ? Cette permission me reste un mystère, le mystère de l'amour fini qui peut se refuser.
Car la haine n'est que cela: un amour qui s'est refusé à l'Amour même, un amour qui s'est aimé plus que l'Amour.
Ce qui rend la haine agissante et redoutable, c'est précisément qu'elle aime, mais elle n'aime pas l'Amour. L'Amour est pour elle l'adversaire qui se dresse contre elle, qui réclame ses droits. L'Amour est un créancier; la haine est un débiteur qui ne veut pas payer pour jouir des biens que l'Amour réclame.
Puis-je écrire que l'Amour réclame encore quelque chose au diable?
A lui même personnellement: non. Les ponts sont coupés; le diable ne repassera jamais sur la rive de Dieu.
Mais , sur le fleuve de la création, des êtres passent que le démon appelle.
La piété chrétienne a souvent et longuement contemplé cette attitude du disciple privilégié. Cette attitude révèle une habitude.
Entre Jésus et ce disciple des rapports spéciaux, une intimité particulière existaient. On l'explique par l'âge; le disciple aimé était le plus jeune du groupe; il en était le benjamin; celui auquel on s'adresse sur un ton enjoué, auquel on parle toujours avec un sourire, auquel on passe plus de choses... et qui en un mot a le droit de déposer sa tête sur les genoux ou sur le coeur du Maître.
Cette jeunesse était celle de l'âge; elle était surtout jeunesse d'âme, celle qui demeure, que la vie passagère n'atteint pas parce qu'elle participe à la vie éternelle.
Il y a des natures comme cela: elles vivent par le fond d'elles-mêmes, ce fond où réside Celui qui est, et où il se communique à elles. Elles vivent naturellement près de lui; elles sont éclairées de sa lumière et animées de son mouvement. Elles ont avec elles-mêmes et avec les choses des rapports d'une simplicité exquise qui semblent les mettre en dehors du mouvement faux né de la faute originelle. Il semble que le péché ne les ait presque pas touchées; elles ont quelque chose de la sincérité et de la fraicheur originelles; quand le corps et ses mouvements, la parole, le regard, les attitudes étaient encore le miroir de l'âme. On voit clair en elles, et elles voient clair en tout. Le disciple que Jésus aimait, dans tout ce qu'il fait, dans tout ce qu'il dit ou écrit, apparait immédiatement avec cette limpidité; son âme est un cristal. De là son goût pour la lumière; de là son sens profond de la vie.
Cette jeunesse, supérieure au temps, lui donnait de pénétrer plus avant dans l'âme du divin Maître, d'en retenir les enseignements plus profonds. Il vivait par delà les évènements, où s'il les voyait - car il les voyait et les décrit à merveille jusque dans les moindres détails - il les voyait dans la clarté très spéciale où les voyait le Maître et tout ruisselants de la vérité éternelle qu'ils contenaient et qu'expliquait aussitôt le Verbe tant aimé. Il avait donc une façon à lui d'être suspendu à ses lèvres, de recueillir ses discours, de les garder, de les faire vivre en lui et de leur donner cette forme, cette allure caractéristique , unique qu'on remarque dans son Evangile.
Tout cela - et bien plus que ce que je viens de dire - lui valait cette intimité avec Jésus dont il a fait son nom propre :" Le disciple que Jésus aimait".