en attendant: Carpe diem.
Publié le 25 Avril 2017
Un but de vie nous a été fixé par Celui-là même qui nous donne la vie. Notre existence, qui s'accomplit dans le temps, a son point d'arrivée comme son point de départ en Dieu. Venus de Dieu, nous allons à Dieu.
Aller à Dieu, c'est d'une part aboutir à Dieu; c'est d'autre part, lui ressembler ou, plus exactement , tendre incessamment à développer en nous la ressemblance divine qu'ébaucha dans notre âme la main créatrice.
Or Dieu est saint: il est trois fois saint, c'est-à-dire qu'Il possède la plénitude de la sainteté. Et il a dit :" Soyez saints parce que je suis saint."
Aller à Dieu, ressembler à Dieu , c'est donc devenir saint.
Il arrive souvent de comparer la sainteté à une montagne. Alors, la montagne possède une altitude particulière, suivant les âmes et les sentiers qui donnent accès au sommet sont divers. Cependant, il est pour s'élever un procédé qui nous convient à tous : la sanctification de chaque journée.
Revenons à la montagne. L'acte par lequel on se dirige vers son sommet s'appelle ascension. Comment se fait une ascension? Est-ce par bonds et par sauts? Non. La manière est moins rapide: on s'élève par une marche lentement progressive, on s'avance pas à pas, " mettant un pied devant l'autre', comme s'exprime saint François de Sales. Ainsi en est-il de la sainteté. On l'atteint ordinairement non par des actes rares et extraordinaires, mais par l'exact accomplissement des devoirs de chaque jour.
La Providence a été très bonne en donnant à notre vie la division naturelle des jours. Notre existence n'est pas faite d'un seul morceau, mais d'une foule de pièces: le chemin que nous avons à suivre ne s'étend pas indéfiniment devant nous, avec la monotonie d'une ligne droite; il y a souvent des coudes. Combien serait fatigante une marche où il n'y aurait pas d'arrêt!
De même on n'aime pas à considérer une immense série de devoirs, entraînant des efforts sans cesse renouvelés, des sacrifices pénibles toujours à recommencer. On dit: il me sera impossible de continuer à lutter. Et parce que le courage manquerait pour continuer, il manque déjà pour commencer. Mais, dans le chemin de notre vie, nous avons un arrêt chaque soir ; et, chaque matin nous trouvons un coude, un détour.
Or quel effort ne peut durer un jour? Quelle bonne volonté ne peut s'étendre du lever du soleil à son coucher? D'autant plus qu'il y a des relais et du repos.
Tenant compte de la providentielle division des jours, l'Esprit-Saint nous dit :" A chaque jour suffit sa peine" .
Et Jésus fait cette recommandation à ses Apôtres :" Ne soyez pas inquiets du lendemain. " Il prescrit encore d'implorer ' le pain quotidien" .
Il isole en quelque sorte les jours les uns des autres; il met pour ainsi dire des oeillères sur notre âme. Cela, ainsi que la préoccupation de l'avenir ne trouble pas l'occupation du présent, afin que l'homme soit tout entier à ce qu'il fait. Une vie peut se clore au soir de toute journée, trouver là son achèvement relatif. Au demeurant , l'accomplissement du devoir d'aujourd'hui n'est-il pas la meilleure préparation au devoir du lendemain? Dans tout moment bien employé , il y a une force qui réside et se prolonge dans l'avenir, qui influe sur l'avenir. C'est pourquoi s'il y a un " au jour le jour" imprévoyant et fautif, il en est un qui est sage et recommandable.
Les Anciens eux aussi , ont considéré la succession des jours . Ils disaient : la fuite des jours. Et devant cette fuite rapide, leur mélancolie était grande. Lorsque Horace écrivait à Mécène, à Fescennius , à Posthume... , aux autres, il faisait de fréquentes allusions à cet écoulement goutte à goutte de la vie: Dies die traditur... Ehen ! fugaces, Posthume, fugaces labuntur anni... Comme conclusion il ajoutait ce conseil :" Carpe diem. Cueille les jours, prends les un à un comme des objets précieux. "
L'expression est charmante. Elle donne l'image d'une cueillette de fleurs choisies pour composer un bouquet. Carpe diem. Il y a un Carpe diem chrétien. Cueillez chaque jour, traitez-le délicatement, consacrez-le au devoir, offrez-le à Dieu .
Cueillez tout le jour. La vie tout entière ne nous est donnée que pour tendre vers Dieu et nous unir continuellement à Lui par la soumission de tout notre être: elle doit être tout entière un grand et perpétuel acte d'adoration en esprit et en vérité. Détourner une seule pensée, un seul sentiment, une seule action , c'est refuser à Dieu le service complet auquel il a droit de notre part.
Pour les saints, qui furent de grands chrétiens et qui doivent être nos modèles, la vie fut une surnaturalisation de chaque jour, de chaque instant, de chaque action; les saints furent ces " vrais adorateurs qui adorent le Père en esprit et en vérité."
Chaque nouveau matin ils disaient :" C'est aujourd'hui que je commence."
Que commençaient-ils? L'oeuvre de la sainteté, leur marche vers Dieu.
A leur avis, ils n'avaient pas été assez généreux, assez actifs, la veille.Rien n'était fait encore de la grande oeuvre pour laquelle ils étaient en ce monde, ou si peu. Alors, ils s'appliquaient de leur mieux au devoir présent, à la série des occupations quotidiennes. Continuellement, ils ajoutaient à l'édifice de leur vie, aujourd'hui une pierre, demain une autre, veillant seulement à ce que toutes les pierres fussent de bon grain et mises à leur place. Loin d'eux l'illusion de croire que tout leur édifice spirituel pût être bâti une fois pour toutes, ce qui eût comporté, ni plus ni moins la confirmation en grâce, beau privilège qui n'est guère de ce monde.
Chaque nouveau matin, les saints disaient encore :" Ce jour qui luit est peut-être le dernier de notre vie; nous le passerons comme s'il était le dernier." Sous cette pensée de la mort continuellement menaçante, leur esprit se faisait plus attentif, leur volonté plus agissante.
Ainsi attentifs à sanctifier les jours , les uns après les autres, c'est toute leur vie qu'ils ordonnaient vers son terme, vers Dieu, Bossuet donnait ce conseil: " Il faut régler sa vie et l'accomplir de manière que chaque jour nous tienne lieu de toute la vie."
abbé Rouzic.