Publié le 31 Août 2014
Requiem pour les chrétiens d'Orient
SYRIE. "Une église pour Maaloula" jour 6
Après une journée riche en émotions à Maaloula, nous repartons pour le Qalamoun en direction de la ville de Yabroud. C'est de cette ville qu'étaient arrivés certains des combattants islamistes ayant envahi Maaloula.
Pour sortir de Damas, contrairement aux autres jours, nous ne sommes pas obligés de faire un grand détour par l'ouest. Aujourd'hui, l'autoroute du nord est réouverte et sécurisée et nous l'empruntons pour la première fois. L'autoroute traverse un quartier nouvellement repris par l'armée. Le spectacle de désolation est terrifiant. Le long de la route s'égrènent les concessions des plus grands constructeurs automobiles occidentaux. Pas une n'a résisté aux pillages.
Après plus de une heure de route, nous arrivons au barrage qui contrôle l'accès à la ville de Yabroud. Malgré notre précieux laisser-passer signé par le patriarche, il nous est cette fois impossible d'aller plus loin: seuls les habitants de la ville peuvent s y rendre,
Le curé de Yabroud, le père Georges Haddad, nous envoie quelqu'un pour nous récupérer. Les gardes locaux insistent pour que nous ayons une escorte pendant la durée de notre visite à Yabroud, la ville n'étant sécurisée par l'armée que depuis deux mois à peine. Deux jeunes chrétiens de la ville armés d'une Kalachnikov nous escorteront donc discrètement toute la journée.
Nous arrivons pile à temps pour la messe, célébrée aujourd'hui par l'archevêque grec catholique melkite de Homs. L'assistance est particulièrement fournie, notamment un groupe de plus d'une centaine d'enfants du catéchisme. L'archevêque insiste particulièrement sur l'importance de la prière pour la paix en Syrie. L'église catholique principale de Yabroud date de l'époque paléo-chrétienne et recèle des trésors archéologiques, d'autant plus qu'elle fut bâtie sur l'emplacement d'un temple païen. Elle possède également d'anciennes icônes précieuses que le Père Georges avait prudemment mis à l'abri à Damas (quatre voyages de nuit en voiture!) lorsque la situation commençait à devenir très inquiétante.
Après la messe, le père Georges nous fait une visite commentée de le cathédrale en nous expliquant l'histoire de la ville depuis le début de la crise syrienne. Au début de la crise, une partie de la population musulmane de Yabroud s'est soulevée contre le gouvernement de Damas. Prudemment, les chrétiens n'ont pas voulu prendre parti pour tel ou tel camp. Très vite, il est apparu que les bandes armées qui mettaient la ville au pas avaient des intentions principalement vénales et crapuleuses. Les autorités chrétiennes, catholiques et orthodoxes, ont décidé d'un commun accord de verser un tribu à ces bandes armées en échange de la sécurité et de leur protection. Au bout d'un an, la situation sécuritaire s'est dégradée à Yabroud, les bandes qui contrôlaient toujours la ville assurant de moins en moins d'ordre et participant même aux pilages et aux rançonnages, principalement contre les familles chrétiennes. Les responsables chrétiens ont donc décidé de diminuer progressivement leurs versements, la contre partie n'étant plus assurée, jusqu'à les arrêter totalement. Dans le même temps, les bandes locales se faisaient progressivement remplacées par des groupes venus de l'extérieur, principalement des provinces de Homs et de Raqa, voire même de l'étranger (Arabie saoudite, Libye etc).
Au printemps 2014, la situation était devenue très critique pour les chrétiens et le Père Georges décida d'évacuer la ville avec tous ses fidèles. En quelques heures, les +++ familles chrétiennes quittent la ville pour Damas, seules restant ++ familles. Cet exode ne durera pas longtemps car trois jours plus tard, l'armée arabe syrienne, aidée du Hezbollah, réussit à prendre position sur les collines environnantes et à encercler la ville, provoquant sa reddition. Cette tactique payante a permis, toujours selon le Père Georges, d'éviter un bombardement de la ville par l'armée et donc de la préserver de nouveaux dégâts. Cependant, les islamistes ont profité de ces trois jours d'exode des chrétiens pour profaner les églises, détruire les iconostases, crever les yeux des icônes, piller et brûler les maisons des chrétiens.
Le Père Georges s'interroge, lui qui, en pasteur soucieux de ses brebis, avait soigneusement éviter de prendre parti dans un conflit qui ne le concernait pas: "Ces gens, soutenus par les États-Unis et l'Europe, prétendent combattre pour la démocratie et la liberté. Mais la démocratie et la liberté nécessitent-elles de crever les yeux des icônes, de décapiter des statues, de profaner nos églises?"
Tout en devisant, nous partons à pieds dans les rues du centre-ville de Yabroud et ses vieilles bâtisses. Certaines sont en très bon état, d'autres sont brûlées, d'autres complètement détruites. Le Père Georges nous explique que, à quelques exceptions près, seules les maisons des chrétiens ont été saccagées. Nous en profitions pour discuter avec des commerçants chrétiens qui tentent de reprendre une vie normale. Partout nous entendons le même discours: "comment faire confiance à nos voisins? Nous nous entendions bien depuis toujours mais, lorsque nous avons été attaqués par les terroristes, ils les ont soutenus. Nous ne voulons pas qu'ils reviennent à Yabroud pour l'instant." Ce refus explique les contrôles sévères à l'entrée de la ville.
Nous sommes invités à boire le café chez une famille sunnite habitant aux pieds des montagnes. Nos hôtes nous montrent les grottes dans les montagnes au dessus de leur jardin. Selon eux, des terroristes continueraient à s'y regrouper. Cette famille a eu de gros problèmes les derniers mois avant l'arrivée de l'armée car elle s'était opposée aux brimades subies par les chrétiens. En signe d'amitié, ils nous offrent de petits bracelets en corde formant des dizainiers chrétiens. Ils protestent avec véhémence contre l'Islam radical qu'on voudrait leur imposer depuis l'extérieur. Ce n'est pas leur vision de l'Islam ni leur manière de pratiquer leur religion. Ils nous répètent que les chrétiens sont indispensables pour construire la paix dans la région et notamment pour permettre aux chiites et sunnites de vivre ensemble.
À regrets, nous déclinons l'invitation à déjeuner, étant attendus à l'archevêché où nous retrouvons Monseigneur Arbach et le Père Georges. Après une rapide collation, nous rejoignons l'église pour assister au spectacle de rentrée des élèves du catéchisme. La joie et l'entrain des enfants nous redonnent espoir, après avoir entendu ces histoires terribles et vu toutes ces destructions dans la matinée.
Nous terminons notre séjour à Yabroud par une visite de l'école attenante à l'église. Là encore tout a été sciemment pillé, les bureaux fracassés, les livres de classe déchirés. Attristé, le Père Georges y voit là une preuve de la barbarie des auteurs, qui étaient là pour détruire et non pour construire. La rentrée scolaire est fin septembre et, en l'état, l'école catholique est inutilisable. Nous essayons d'évaluer les besoins financiers pour la réfection de l'école. Grâce à vos dons, nous pourrons peut être participer à ces travaux afin que les enfants de Yabroud puissent retrouver les bancs de l'école.
La situation étant encore instable dans la région, le couvre feu est en vigueur le soir à Yabroud et, à 15 heures, il est temps pour nous de reprendre le chemin de Damas.
Nous saluons l'archevêque, que nous retrouverons demain à Homs, et le Père Georges, leur promettant de revenir très vite.