Publié le 31 Mars 2010
DU TRÉS-SAINT SACREMENT ET DES RAISONS DE SON INSTITUTION.
Un des principaux motifs de l'incarnation du Sauveur a été l'insensibilité et la froideur des hommes pour Dieu.
Aussi Jésus-Christ nous dit-il dans saint Luc : « Je suis venu porter le feu sur la terre; et que désiré-je sinon qu'il s'allume? »
Ce feu, il le répand à force de bienfaits et d'œuvres d'amour qui ravissent le cœur de l'homme et l'embrasent lui-même d'amour. Ce but a été celui des œuvres de toute sa vie, mais principalement des œuvres qu'il accomplit peu avant sa mort.
« Après avoir aimé les siens qui étaient dans le monde, dit saint Jean, XIII, 1, il les aima surtout à la fin ; » déclarant par ces paroles qu'il leur accorda des faveurs plus signalées et des marques d'affection plus touchantes.
Or, une des plus grandes fut l'institution du très-saint Sacrement; et on le croira aisément lorsqu'on aura réfléchi un instant sur les raisons de cette institution. Mais auparavant, très-doux Sauveur, ouvrez nos yeux, éclairez-nous de votre lumière afin que nous découvrions les motifs qui ont porté votre cœur si aimant à produire cette invention admirable.
Posons d'abord en principe que nulle langue créée ne saurait exprimer l'amour que Jésus-Christ a pour l'Eglise son épouse, et par conséquent pour chacune des âmes qui sont en état de grâce, puisque ces âmes sont véritablement ses épouses. C'est pourquoi entre autres demandes que saint Paul adressait à Dieu, il lui adressait celle-ci : « Faites-nous, lui disait-il, comprendre l'immensité de l'amour de notre Sauveur. » Cet amour en effet est si merveilleux qu'il surpasse l'intelligence de toute créature, même des anges.
I. Ce tendre époux étant donc sur le point de quitter ce monde et de se séparer visiblement de l'Eglise son épouse ; afin que son absence ne fût pas une cause d'oubli, il lui laissa comme souvenir le très-saint Sacrement. Ce souvenir c'était lui-même, car il ne voulait pas qu'un autre souvenir que lui-même le rappelât à celle dont il s'éloignait. Alors il prononça ces suaves paroles : « Chaque fois que vous ferez ceci, vous le ferez en mémoire de moi, et vous penserez à ce que j'ai fait et enduré pour votre salut. »
II. Il voulait aussi, ce tendre époux, ne pas laisser en son absence son épouse seule. Il lui donna pour compagnie le très-saint Sacrement, c'est-à-dire lui-même, c'est-à-dire encore la compagnie la plus précieuse qui se puisse imaginer.
III. Il songeait en même temps à mourir pour elle, à la racheter et à l'enrichir de son sang. Afin donc qu'elle pût jouir de ce trésor, il lui en livra les clefs avec cet auguste Sacrement. Car, suivant saint Jean Chrysostome, Hom. LXXXIV, toutes les fois que nous le recevons, nous mettons nos lèvres sur le côté du Christ, nous buvons son sang divin et nous participons à son glorieux mystère. Quelle énigme est l'homme, puisqu'il se refuse uniquement par paresse à jouir de ce trésor inestimable ! C'est dans un sens profond que le Sage a dit : « Le paresseux cache sa main dans sa poitrine, et il est sur le point de mourir de faim, parce qu'il n'a pas la force de la porter à sa bouche. » Prov. XIX,24. Y a-t-il une paresse plus grande que la paresse de celui qui, pour être exempt d'une légère préparation, renonce à un bien plus précieux que l'univers tout entier ?
IV. Le céleste Epoux désirait également être aimé par son Epouse d'un grand amour ; et pour cela il a préparé cette mystérieuse nourriture qui enflamme et blesse vite celui qui la reçoit dignement.
O mystère que nous devrions imprimer au plus intime de nos cœurs !
Dis-moi, chrétien : si un prince s'attachait à une esclave au point de la prendre pour épouse, et de l'établir reine et maîtresse de ses états ; pourrions-nous admirer assez son amour? Et si, après le mariage, il trouvait l'amour de son épouse refroidi, et qu'alors il se mît à la recherche d'un breuvage capable de le rallumer, que ne dirions-nous pas de la conduite de ce prince ? Eh bien ! ô roi de gloire, ce n'a point été assez pour les entrailles de votre amour de faire votre épouse d'une âme qui était l'esclave du démon. Quand vous l'avez sentie froide et glacée, vous avez préparé une merveilleuse nourriture, et par vos paroles puissantes, cette nourriture a la vertu de transformer et d'embraser les âmes qui la recevront. Rien ne montre plus l'amour que le désir d'être aimé. Vous, ô mon Seigneur, vous avez tant désiré être aimé de nous que, pour y parvenir, vous avez imaginé les inventions les plus étonnantes. Qui douterait ensuite de votre amour?
Ah! je sais bien que si je vous aime, vous m'aimez , et que je n'ai pas besoin, pour gagner votre cœur, des moyens auxquels vous recourez pour gagner le mien.
V. Quoiqu'il fallût que l'époux quittât son épouse, comme l'amour ne saurait se résigner à l'absence de l'objet aimé, Jésus-Christ voulait à la fois partir et ne pas partir, s'en aller et pourtant rester.
Or, ni lui ne pouvait rester, ni son épouse s'en aller avec lui. Il choisit alors un expédient tel qu'encore qu'il partît et qu'elle restât, ils ne devaient être jamais séparés. C'est ce que fait le sacrement de l'autel : il unit et incorpore si étroitement les âmes à Jésus-Christ, qu'elles ne forment avec lui qu'une seule et même chose. Il en est de l'âme et du Christ comme de la nourriture et de celui qui la prend, avec cette différence indiquée par saint Augustin. Confes, VII, 10, que le Sauveur s'identifie l'âme qui le reçoit, et lui communique son amour et sa vie.
VI. Il voulait encore donner à son Eglise des gages assurés de l'héritage céleste, afin que munie de cette espérance elle traversât joyeusement les aspérités de la vie.
Rien n'est plus capable d'inspirer le mépris des choses d'ici-bas que la ferme espérance des biens d'en haut. Aussi Jésus-Christ disait-il avant sa passion à ses disciples : « Si vous m'aimiez véritablement, vous seriez dans la joie parce que je vais vers mon Père. » Joan. XIV, 28. Comme s'il eût dit : Aller vers mon Père est un si grand bonheur, que les fouets, les épines, les clous, les supplices et les peines de cette vie ne sauraient le mériter.
Afin donc que son Epouse conçût de ce bonheur la plus solide espérance, l'Epoux lui a laissé un gage aussi précieux que l'objet de cette espérance elle-même. Comment douter que Dieu ne se livre à elle dans sa gloire quand elle vivra toute en esprit, puisqu'il ne se refuse pas entièrement dans cette vallée de larmes où elle vit dans la chair ?
VII. Un autre désir du divin Epoux était de faire son testament avant de mourir, et de laisser à son Epouse un présent propre à calmer sa douleur.
Il lui laissa le présent le plus magnifique., son corps adorable. Lorsque Elle fut enlevé à la terre, il donna à Elisée son manteau, l'unique bien dont il pût le faire héritier.
Quand notre Sauveur se prépara à monter au ciel, il donna dans ce sacrement son manteau terrestre, c'est-à-dire, son corps sacré, en héritage à ses enfants. Avec le manteau d'Elie, Elisée passe à pied sur les eaux du Jourdain : par la vertu de l'Eucharistie, les fidèles passent en toute sécurité les eaux des vanités et des tribulations de cette vie.
VIII. Enfin, Jésus-Christ se proposait de procurer à nos âmes un aliment capable de conserver et d'entretenir leur vie.
Car la condition de la vie spirituelle est la même que la condition de la vie corporelle. En effet, pourquoi le corps reçoit-il chaque jour sa nourriture? Evidemment parce que dépensant chaque jour une partie de ses forces, il a besoin d'un secours extérieur qui chaque jour les répare; sans quoi elles seraient bientôt épuisées.
Plaise à Dieu que nous comprenions mieux par ce rapprochement la nécessité de l'Eucharistie et la miséricordieuse sagesse de son auteur ! N'est-il pas vrai qu'il y a dans nos âmes un principe funeste qui paralyse ce qu'elles ont de force pour le bien? Ce principe nous porte à l'amour du siècle, de la chair, de tous les vices et de tous les plaisirs; tandis qu'il nous détourne de Dieu, de son amour, nous rend de glace pour la vertu, et de feu pour le mal.
Et si ce principe délétère règne continuellement en nous, ne faudra-t-il pas un principe opposé qui réparc continuellement les ruines qu'il aura faites? Qu'il n'en soit pas ainsi, et vous n'aurez à attendre qu'une faiblesse croissante et des chutes certaines. Pour vous en convaincre , jetez un coup d'œil sur l'histoire du peuple chrétien. A l'origine de l'Eglise, les fidèles prenaient tous les jours cette divine nourriture : aussi étaient-ils forts et prêts non-seulement à garder la loi de Dieu, mais à mourir pour elle. Aujourd'hui ils n'en usent que rarement; c'est pourquoi ils sont lâches, dégénérés, et sur le point de tomber d'inanition, selon la parole du Prophète : « Parce qu'il n'a pas eu d'intelligence, mon peuple a été captif, ses grands sont morts de faim, et la multitude a été dévorée par les ardeursde la soif. » Isa. v, 13.
Il connaissait donc bien notre nature et ses misères, le céleste médecin, lorsqu'il institua ce sacrement. Il l'institua sous forme de nourriture, afin de nous enseigner par là et l'effet qu'il devait produire, et le besoin que nos âmes en avaient.
Cet aliment et ce remède divins sont d'ailleurs la preuve d'amour la plus forte qu'un Dieu ait pu nous donner.
Nous lisons en maintes histoires que des mères torturées par la faim ont cherché dans la vie de leurs propres enfants la conservation de leur existence. Mais qui a jamais lu qu'une mère, pour soutenir son fils mourant de faim, lui ait donné sa propre chair à manger? que son amour envers lui l'ait portée à se déchirer elle-même ? Il n'y a point de mère qui ait fait cela. Mais celui qui est venu du ciel pour toi, chrétien, calui-là plus aimant encore qu'une mère, à la vue de la faim qui te consumait, s'est livré à la mort afln que sa chair te servit de nourriture. Et comme il voulait que cette nourriture fût perpétuelle, il a établi le sacrement de l'autel. et il nous montre, par cette perpétuité, qu'il est disposé à te donner toujours la même marque d'amour, dès qu'elle sera nécessaire.
Considérons surtout que le Rédempteur du monde s'est proposé de rendre à l'homme son antique noblesse, et de l'élever par la grâce autant qu'il avait été abaissé par la faute originelle. Or, Adam était tombé de la vie divine à la vie des bêtes ; il devait donc passer de cette vie animale à la vie de Dieu qu'il avait perdue.
C'est pour cette fin qu'a été institué la communion au très-saint Sacrement. Elle rend l'homme participant de la vie divine, selon cette profonde parole du Sauveur : « Celui qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi, et moi en lui. De même que ma vie est celle du Père, la vie de celui qui prendra cette nourriture sera ma vie. » Joan. VI, 57 et 58.
Il vivra par conséquent d'une vie divine et non d'une vie humaine. Car dans la communion Jésus-Christ ne se change pas en nous, mais, comme il a été déjà dit, il nous identifie à lui en nous communiquant sa volonté et son amour. Il se passe alors en nous ce qui se passe dans le pain lorsqu'il est consacré.
De même que les paroles de la consécration changent la substance du pain en la substance du Christ; de même la communion transforme d'une manière spirituelle et divine celui qui la reçoit. Après la consécration, le pain n'est plus ce qu'il était, il paraît une chose et il en est une autre. Après la communion, l'homme n'est plus aussi ce qu'il était; autre est sa dignité apparente, et bien autre sa dignité réelle : à l'extérieur tout est humain; tout est divin au contraire dans l'intérieur de l'âme.
Maintenant connaissez-vous une gloire plus pure, un don plus précieux, un bienfait plus touchant, une preuve d'amour plus considérable?
Que devant cette œuvre se taisent toutes les œuvres de la nature, et même celles de la grâce, parce qu'elle est une œuvre au-dessus de toutes les œuvres, une grâce au-dessus de toutes les grâces.
O merveilleux sacrement, que dirai-je de toi ? Comment te louer? Tu es la vie de nos âmes, le baume qui guérit nos plaies, le charme de nos peines, le souvenir de Jésus-Christ, le gage de son amour, le très-précieux legs de son testament, le compagnon de notre pèlerinage, la consolation de notre exil, le flambeau qui allume en nous le feu de l'amour céleste, le canal de la grâce, l'avant-goùt du ciel, et le trésor de la terre.
C'est toi qui es le lien de l'époux et de l'épouse; c'est toi qui éclaires l'intelligence , réveilles la mémoire, embrases la volonté, délectes le palais de l'âme, accrois la dévotion, émeus les entrailles, ouvres la source des larmes, endors les passions, excites les bons désirs, fortifies notre faiblesse, et permets d'arriver à la montagne sainte.
Qui racontera dignement tes grandeurs? Que rendre pour un pareil bienfait? Comment ne pas fondre en pleurs à la pensée d'une si intime union avec Dieu? Les paroles manquent, l'intelligence est troublée, lorsque l'on considère les vertus de cet auguste mystère.
Et puis quelle douceur , quelle suavité, quels parfums de vie remplissent l'âme qui le reçoit ? Elle ne retentit alors que des chante harmonieux de l'homme intérieur, de cris de désir, d'actions de grâces, de louanges délicieuses en l'honneur du bien-aimé. Car ce sacrement vénérable la renouvelle tout entière, l'inonde de joie, de dévotion et de paix, augmente sa foi et son espérance, et resserre les chaînes qui l'attachent à son trèsaimable Rédempteur. Aussi devient-elle chaque jour plus fervente, plus forte dans la tentation, plus résolue dans le travail, plus désireuse de faire le bien, et plus avide de cette nourriture divine.
Voilà, ô bon Jésus, vos présents; voilà les opérations merveilleuses de votre amour. Et c'est par ce sacrement que vous les accomplissez dans vos amis, afin que ces délices incomparables affaiblissent l'attrait des plaisirs dangereux.
Ouvrez donc, amoureux Jésus, ouvrez, lumière infinie, les yeux de vos fidèles, et ravivez la foi qui vous découvre à eux. Dilatez leurs cœurs, puisque vous voulez y venir. Instruits par vous, ils ne chercheront que vous, ne se reposeront qu'en vous, et unis à vous comme les membres à leur chef, le sarment à la vigne, ils vivront de votre vie et jouiront de votre grâce dans les siècles des siècles.
Ainsi soit-il.
Louis de Grenade.