Dans les béatitudes, en Jésus, nous avons l'affirmation de Dieu comme Dieu, comme le seul unique nécessaire, comme le seul qui suffise et remplisse le cœur de l'homme, qui aime l'homme, qui mise sur lui, qui veut son bonheur et lui montre le chemin qui y conduit, qui veut qu’il vive et qui lui ouvre un grand avenir, qui le comble d’une espérance véritable. Inséparablement, Jésus, en Lui et sur le chemin qu’il nous indique, le sien, celui qu’Il a suivi, celui des béatitudes, nous montre la vérité de l'homme appelé au bonheur plénier et total, aimé de lui à un degré insoupçonnable, en lui faisant ainsi voir sa grandeur et sa dignité, ainsi que le but et la vocation auxquels il est appelé.
Les béatitudes sont le chemin de réalisation de l'homme qui marche dans la vérité de l’être et qui vit comme étant de Dieu, en appartenant à Dieu, en s'appuyant sur Dieu, en se confiant en Lui ; elles nous montrent le chemin de la liberté, laquelle n'est pas dans l’avoir et dans l’accumulation mais dans l'être homme, créature de Dieu ; elles nous montrent le chemin de l’espérance : il y a un avenir pour l'homme, la vie a un sens. Dieu et l’homme, la vérité de Dieu et la vérité de l'homme, inséparables, l'union de Dieu et de l'homme chemin et objectif de bonheur, de liberté, d'amour, de miséricorde, de justice, de réconfort, de véritable richesse humaine, de paix, de pureté de vues et de vérité et de bonheur qui devient éternel.
Là, dans les béatitudes, est le bonheur et la joie de l'homme.
C'est là la vocation à laquelle nous avons été appelés : nous avons été appelés par Dieu à être heureux. Ainsi, les béatitudes répondent au désir naturel du bonheur. Désir que Dieu a mis dans le cœur de l'homme afin de l’attirer à Lui, et que lui seul peut satisfaire. Les béatitudes découvrent le but de l'existence humaine, la fin ultime de nos actes humains : Dieu, par pur amour pur et par bienveillance infinie, par miséricorde éternelle, nous appelle à sa propre béatitude, à son bonheur et à sa joie sans mesure, à la félicité complète qui est en Lui, à l'amour où le cœur de tout homme trouve son repos et sa consolation.
Les béatitudes sont ainsi des promesses paradoxales qui soutiennent l’espérance au milieu des tribulations et qui annoncent les bénédictions et les récompenses déjà commencées par l'amour et la miséricorde insondables de Dieu le Père, manifestées en son Fils. Même si la souffrance et le désespoir paraissent remplir le monde, Dieu fait tout ce qu’il fait pour la vie et la joie de l'homme : Pour la vie et la joie de l'homme, Dieu a créé le monde, et nous a donné l'être. Et pour notre vie et notre joie, détruits par le péché, le Fils de Dieu est venu à notre chair, il se l’est unie, par un amour sponsal, et il la vivifie par son Esprit Saint, de sorte qu’elle puisse parcourir la belle, joyeuse et bonne aventure que Lui-même a entreprise sur le chemin menant au Père.
Les paroles du Christ parlent de souffrance, de pauvreté, de faim, de persécution, de pleurs, de manque de paix et d'injustice, de mensonge et d'insultes. Elles parlent de la souffrance de l'homme dans sa vie temporelle. Mais elles ne s'arrêtent pas là. Elles parlent de bonheur, de joie ; elles proclament bénis et heureux, bienheureux, précisément, les pauvres, ceux qui souffrent, ceux qui pleurent, ceux qui ont faim de justice, ceux qui sont persécutés, ceux qui œuvrent pour la paix, ceux qui sont simples et purs de cœur, ceux qui sont calomniés. Et elles nous parlent de la motivation, des raisons, du pourquoi de cette béatitude. Jusqu'à huit fois elles répètent ce “pourquoi”, en nous enseignant les raisons pour lesquelles ils sont heureux : “Parce que le Royaume des cieux est à eux”, parce que Dieu lui-même est à eux, amour sans limites, abîme sans fond de miséricorde, plénitude de vie et de grâce, de justice et de sainteté vraies, bonté suprême, paix, réconciliation et pardon pour tous, source de lumière.
En disant que ceux qui pleurent seront consolés, le Christ indique, surtout, la consolation définitive au-delà de la mort. C’est ce qu’enseigne aussi la deuxième béatitude, “parce qu'ils hériteront la terre”, en se référant à la propriété au sens eschatologique, définitif et dernier : la nouvelle terre où habite la justice, Dieu pour toujours. De même, seront rassasiés ceux qui ont faim et soif de justice, parce que celle-ci sera leur héritage dans le Royaume des cieux. Ceux qui sont miséricordieux trouveront la miséricorde. Ceux qui sont purs de cœur contempleront Dieu face à face, ce qui, selon les enseignements du Nouveau Testament, est l'essence même du bonheur propre au Royaume de Dieu.
S’y réfère aussi la béatitude de ceux qui travaillent pour la paix, appelés fils de Dieu. Quand Jésus énonce le dernier groupe des bienheureux, en visant notamment ceux qui sont persécutés pour la justice, il répète ce qui a été dit aux premiers, les pauvres, les pécheurs, les déshérités : “Parce que le Royaume des cieux est à eux”. Le Christ résume les béatitudes en s’adressant à ceux qui, de quelque manière que ce soit, sont persécutés et faussement accusés, en les exhortant à la joie : “Soyez heureux, réjouissez-vous parce que votre récompense sera grande dans les cieux”.
Les béatitudes nous ouvrent un horizon nouveau par rapport à la vie et à la conduite humaines. Ils sont heureux, donc, ceux qui se laissent guider par l'esprit des béatitudes et qui, certainement, hériteront la terre, bien qu’ils aient achevé les jours de cette vie terrestre.
Leur victoire et leur bonheur est de prendre part à la victoire du Christ sur le péché et la mort, d’être associés à la gloire de sa passion et de sa résurrection. S’agit-il seulement d’une promesse pour le futur ? Les certitudes admirables que Jésus donne à ses disciples, se réfèrent-elles seulement à la vie éternelle, à un royaume des cieux au-delà de la mort ?
Nous savons bien, chers frères, que ce Royaume est proche. Parce qu'il a été inauguré avec la vie, la mort et la résurrection du Christ. Oui, il est proche, parce qu’en bonne partie il dépend de nous autres, disciples qui suivons Jésus. C’est nous, baptisés et confirmés dans le Christ, qui sommes appelés à avancer ce Royaume, à le rendre visible et actuel en ce monde, comme une préparation à son établissement définitif. Ceci se réalise par notre effort et notre conduite conforme aux préceptes du Seigneur, par notre fidélité à sa personne, par notre identification à Lui et notre marche à sa suite.
La béatitude promise nous place, ainsi, devant des options morales décisives. Elle nous invite à purifier notre cœur de ses mauvais instincts et à chercher l'amour de Dieu par dessus tout, à mettre en Lui une confiance totale, comme un enfant rassuré dans les bras de sa mère, à n’attendre de nul autre le salut et le bonheur définitif. La béatitude promise nous enseigne que le véritable bonheur, la joie authentique, ne résident pas dans la richesse ou le bien-être, ni dans la gloire humaine ou le pouvoir, ni dans aucune œuvre humaine, si utile soit-elle, comme les sciences, les techniques et les arts, ni dans aucune créature, ni dans aucun pouvoir, mais seulement en Dieu, source de tout bien et de tout amour, notre part et notre héritage.
Tel est le véritable bonheur, la joie authentique, la joie d'être dans l'amour de Dieu qui fait de nous ses enfants. La joie des enfants est une joie qui requiert une confiance totale dans le Père.
C'est la joie qui a son fondement non dans l’avoir mais dans l'être, non dans le pouvoir ou la domination, non dans la jouissance, l’intérêt individualiste ou le bien-être à tout prix, mais dans la générosité et le don de nous-mêmes, dans une préférence absolue donnée aux choses du Royaume. C'est la joie profonde et exigeante des béatitudes, celle des personnes qui vivent un don total à Dieu, celles pour lesquelles Dieu seul suffit. C'est le bonheur qui ne trouve qu’en Dieu sa pleine réalisation : la joie que personne ne peut ôter, celle qui est le fruit de l'amour et, par conséquent, de Dieu lui-même, en personne, qui est amour.
Les béatitudes, pour cette raison, ne sont pas réservées à quelques privilégiés. C’est l'enseignement moral adressé à tous ceux qui suivent Jésus-Christ, un enseignement, d’ailleurs, qui assume ce qu’affirme la raison humaine, en l’élevant et en l’élargissant. Les béatitudes ne sont pas un chemin conduisant au repli sur soi ; elles sont là pour être vues dans le monde et y être traduites dans les comportements humains. Elles sont comme l’autre face des dix commandements, exprimant avec eux la volonté de Dieu, le vouloir de Dieu et l’accomplissement de sa volonté. Rien n’est étranger à ce chemin.
Tel est l’enseignement de l'Église, que transmet maintes et maintes fois la hiérarchie de l'Église en Espagne, vos Évêques, que certains d’entre vous prétendent affronter ou dont ils veulent se séparer, sans qu’il y ait un jour où ils ne les critiquent (…).
Je ne puis oublier les mots de saint Paul aux Thessaloniciens dans lesquels il affirme qu’en dépit “des souffrances et des insultes, que vous connaissez, notre Dieu nous a accordé de prêcher en toute hardiesse devant vous l'Évangile de Dieu, au milieu d'une lutte pénible. En vous exhortant, nous ne nous inspirons ni de l'erreur ni de l'impureté, et nous ne tentons pas de ruser avec vous. Seulement, Dieu nous ayant confié l'Évangile après nous avoir éprouvés, nous prêchons en conséquence, cherchant à plaire non pas aux hommes mais à Dieu qui éprouve nos cœurs. Jamais non plus nous n'avons eu un mot de flatterie, vous le savez, ni une arrière-pensée de cupidité, Dieu en est témoin. Nous ne recherchons pas la gloire des hommes”.
+ Mgr ANTONIO CAÑIZARES LLOVERA, cardinal de Tolède (Espagne)
3 février 2008
traduit de l'espagnol pour le Petit Placide Arnauld de Garro