Eté: Faire retraite chez les moines.

Publié le 30 Mai 2010

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A CLOÎTRE OUVERT

 

 

 

Se retirer quelques jours dans un monastère, c'est se mesurer à des valeurs d'une modernité étonnante. Les moines n'ont-ils pas l'expérience de la vie en communauté, le recul, le sens de l'essentiel?

 

 

 

 

 

On a fermé ses dossiers, rassemblé les papiers sur le bureau, éteint sa lampe. On a quitté la ville, on s'est retourné vers l'horizon, ligne plate percée de tours. On a roulé longtemps dans le flot des voitures. A la tombée du soir, on a quitté les grands axes pour s'enfoncer dans la campagne. On a lutté contre la fatigue. Soudain, un chemin escarpé, raide, étroit. Au fond, cette énorme silhouette et ce clocher tendu vers le ciel : le monastère, tel un port silencieux au terme d'une traversée.


Alors, le visiteur éteint son portable. Adieu à l'univers horizontal, bienvenue dans la verticalité. Car ici, tout monte : les piliers de l'abbatiale, le prêtre vers l'autel, le plain-chant vers les voûtes, l'encens, le silence, la prière, ou l'âme.


Bien sûr, le visiteur est en retard. Il a tourné. Trouver le monastère est déjà une quête. La communauté monastique s'épanouit à l'écart de la civilisation. Elle craint plus que tout le bruit et la fureur du temps. « Ora et labora », résument les bénédictins : « Prie et travaille. » Tandis que le cadre d'entreprise court chaque jour vers les défis du lendemain, le moine, lui, se préoccupe d'éternité. Dans l'abbatiale, les vastes volumes happent immédiatement l'automobiliste fatigué. Au fond, une flamme rouge vacille, indiquant la présence de Celui auquel 60 ombres chantantes consacrent leur vie. Sous la fraîcheur des voûtes, la lente mélopée du chant grégorien nappe l'espace, habille le silence. Au fond, à peine éclairés, ils sont là, immobiles devant leurs stalles de bois, la capuche posée sur les épaules, le crâne ceint d'une fine couronne de cheveux.


Il y a de tout, dans une communauté : des jeunes sveltes, des vieux cassés, des petits, des grands, des diplômés de Sciences-Po, des ingénieurs, des maçons, des analphabètes. Mais du chant qui s'élève, on ne distingue qu'une voix. Pas de braillard ou de voix de crécelle. Tous les timbres sont fondus dans un ensemble unique. De temps à autre, un moine s'agenouille un instant pour expier une faute de chant, modeste fausse note.`


On est là hors du monde, mais aussi hors du temps. La recherche d'absolu ne connaît pas de mode. Déjà, dans la Grèce antique, des philosophes s'assemblaient pour vivre en commun leur idéal de pauvreté, de chasteté et d'obéissance. Aux premiers siècles de l'Eglise, ermites et autres cénobites vivaient eux aussi de prières et de privations, solitaires, dans un creux de rocher. Ils se sont rassemblés sous l'impulsion de saint Augustin, de saint Basile ou de saint Benoît, passé lui-même par la vie d'ermite. Aujourd'hui, la France compte au moins 120 monastères isolés du bruit des villes et de la roue de l'actualité. Certains accueillent en leur hôtellerie le quêteur d'absolu, soucieux de se pencher de temps à autre sur ses fins dernières. Il y en a pour tous les goûts, des moines et des moniales, des dominicains en blanc et des bénédictins vêtus de noir, des trappistes, des carmélites, des visitandines.


Les monastères rivalisent de beauté : Solesmes, bâti sur la Sarthe, berceau du renouveau de l'ordre bénédictin et de son chant au XIXe siècle, sous la houlette de dom Guéranger ; Saint-Wandrille, près de Rouen, fondé par ce ministre du roi Dagobert, ce qui ne nous rajeunit pas ; Notre-Dame de Fontgombault, dans l'Indre, 1 000 ans d'âge et de prière ; Notre-Dame de Ganagobie, entre Sisteron et Manosque-en-Provence, perché sur son plateau dominant la Durance, très apprécié des cadres et dirigeants, tout comme l'abbaye de Lérins, sur l'île Saint-Honorat, au large de Cannes ; Notre-Dame de Randol, près de Clermont-Ferrand, dont l'architecture moderne la ferait passer pour une centrale nucléaire, dans un site désertique à couper le souffle. Et tant d'autres...


Durant les vacances, on s'arrache les petites maisons dévolues aux familles ou les chambres à l'intérieur de la clôture. Pour Jean Coupey, cadre commercial de Michelin habitué de ces lieux d'exception, « le monastère est un hymne au détachement. C'est perdre du temps, retrouver la gratuité, revenir à ce qui n'est pas monnayable ou rentable, quitter le quantitatif, le chiffre ». Il y a ce rapport au temps qui s'arrête, ce retour vers l'essentiel, et ce calme. « Vivre au rythme des heures, confirme ce patron d'une maison d'édition, assister aux offices, dans la plus belle liturgie qui soit, c'est une indispensable manière de se retrouver, de remettre ses idées en place et reprendre des forces jusqu'à la prochaine retraite. »

 

 

L'hôte assiste aux offices, fredonne les psaumes, parle à un moine lorsqu'il le souhaite, aborde avec lui les sujets de son choix et... rigole pas mal. Le moine sait bien qu'un « saint triste est un triste saint », selon la formule consacrée. Il a cet avantage sur le chrétien ordinaire venu quelques jours goûter la paix de l'abbaye qu'il est à peu près certain de sauver son âme. Alors, malgré la dureté de sa condition ou plutôt à cause d'elle, il semble goûter une forme de reflet du bonheur céleste, avec un peu d'avance.


Patrice de Dompsure, créateur du cabinet de conseil Discerner, à la Défense, organise fréquemment des rencontres de managers avec des moines, notamment bénédictins. Pour lui, l'homme d'entreprise a beaucoup à apprendre de ces êtres coupés du monde. « L'ordre bénédictin est une multinationale depuis le IXe siècle », explique-t-il - ces abbayes se sont reliées entre elles à cette époque. Il prépare un séminaire avec un dominicain sur... la jalousie dans les monastères. Façon habile d'apprendre aux managers à gérer les ego et les frustrations qui pourrissent parfois le climat d'une entreprise. « Ils ont 1 350 ans d'expérience du management », assure Patrice de Dompsure.

 

 

Déconnectés comme personne de la vie de l'entreprise, ces moines en ont pourtant une perception à la fois aiguë et distante, recherchée du coup. « Ils ont l'expérience de la vie en communauté, le recul, le sens de l'essentiel », poursuit Patrice de Dompsure. A son initiative, le célèbre frère Samuel Rouvillois, de la Communauté des frères de saint Jean, docteur en philosophie, maîtrise de théologie, présent au Centre des jeunes dirigeants (CDJ) comme au Medef ou auprès de grandes entreprises (Cofinoga, Vinci, PSA, Aerospatiale...), a planché devant 60 à 80 cadres dirigeants venus de Total, La Poste, Lafarge, Electrolux ou Publicis. Dom Hugues Minguet, moine de Ganagobie, anime des séminaires de haut niveau dans le cadre de Sens & Croissance, un institut destiné au monde de l'entreprise. Dom Didier Le Gal, de Saint-Wandrille, propose avec un succès qui ne se dément pas la règle de saint Benoît comme modèle de management. Ils ont puisé dans le silence, la lecture et l'isolement assez de profondeur pour tenir en haleine une assemblée de cadres et de patrons.


A ses hôtes, le père abbé a humblement lavé les mains avant le premier repas, obéissant à la recommandation de saint Benoît. On chante le Benedicite avec les moines. On s'assoit autour de la table d'hôtes, devant l'abbé, isolé sur une petite estrade, un marteau semblable à celui d'un commissaire-priseur posé à côté de son assiette. Dans une niche surélevée, un moine psalmodie quelques versets de la règle de saint Benoît d'une voix monocorde, puis poursuit sur le même ton la lecture d'un ouvrage, historique ou culturel à midi, pieux le soir.


En silence, on se nourrit des légumes et laitages produits au monastère. On écoute. Ne pas compter sur le vin local pour réjouir le coeur de l'homme. L'affreuse piquette règle les hésitations du bon père saint Benoît, qui n'accorde à contrecoeur, « considérant les exigences des santés délicates », qu'une « hémine de vin à chacun comme portion suffisante pour la journée ». L'équilibre, toujours. Un coup de marteau marque la fin de la lecture et du repas. Les moines font disparaître leur écuelle, leur gobelet et leurs couverts, soigneusement essuyés, dans leur robe de drap.


Dans ces lieux de bois et de pierre, tout est paisible : le réfectoire, le cloître, l'abbatiale. Huit fois par jour, des matines aux complies, les moines s'inclinent deux par deux devant l'autel avant de gagner leur place et de chanter. Le retraitant touche du doigt l'amour de Dieu et le sens du beau qui les aspirent vers la perfection.

 

 

Fascinants moines.


A l'inverse des postulants à une secte, où l'on entre facilement et dont on ressort avec difficulté, eux ont attendu longtemps avant d'être intégrés dans la communauté. Mais une fois revêtu l'habit, hors les voeux prononcés, hors leur engagement propre, rien ne les retient. Confrontés au dilemme de saint Augustin - « l'amour de Dieu jusqu'au mépris du monde, la Cité de Dieu, ou l'amour du monde jusqu'au mépris de Dieu, la Cité terrestre » -, ces hommes ou femmes ont choisi la voie la plus exigeante, celle du dépouillement total.

 

La violente radicalité de ce choix de vie contraste avec la douceur et l'humanité de ces êtres aspirés par un idéal de perfection, nourris d'amour divin, sereins.

 

Ils ont répondu à cet appel qui leur a fait, un jour, tirer doucement la porte de leur chambre, laisser leurs jeans, leurs photos, leurs souvenirs, leur famille et leur maison d'enfance. Ils ne la reverront qu'au décès de leurs parents, quelques heures. Ils n'ont plus rien. « Tout doit être commun à tous. » Marx ? Non, saint Benoît. « L'un des principaux désordres à retrancher du monastère et à extirper radicalement est l'esprit de propriété », insiste le fondateur des bénédictins, mort en... 543. Economie radicale, choix radical : « Ora et labora. »

 

Marc Baudriller

 

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Rédigé par philippe

Publié dans #spiritualité

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