" Je serai l'amour. "

Publié le 1 Octobre 2018

 

 

  priez pour nous.

 

" Je serai l'amour " : prodigieuse espérance! Tous les saints ont fait oeuvre d'amour. Docteurs, ils puisaient d'abord dans la ferveur de la contemplation les clartés qu'ils répandaient. Apôtres, ils étaient mus du seul désir de faire aimer leur Maître. Martyrs, ils avaient cette charité que personne n'a plus grande, ils donnaient leur vie pour celui qu'ils aimaient.

   De ces oeuvres, Thérèse, qui les envie toutes, ne peut se satisfaire. Elles ne sont que divisions et partages du don de Dieu, et Thérèse le veut tout entier. Elle choisit donc, non seulement de faire les oeuvres de l'amour, mais d'être l'amour . Elle le choisit avec cette définitive assurance qui est un des traits de sa nature et de sa grâce . Dieu ne la démentira pas, elle le sait, il posera sur ses " immenses désirs " le secret de sa toute puissance.

   Connaître ce qu'est l'amour serait donc saisir jusqu'en son suprême ressort la sainteté de Thérèse de l'Enfant-Jésus.

   Or l'amour est une puissance souveraine, une force  impérieuse qui remplit tout le coeur de l'homme . Toutefois, s'il est dans l'homme , il n'y agit que pour le tirer hors de lui. A son principe, il est vrai, l'amour trouve en soi suffisance et raison . " J'aime parce que j'aime ", dit saint Bernard.

   Son terme est dans une aliénation totale, il s'achève dans un autre. Et que cherche-t-il dans cet autre ? Un amour qui lui soit égal, qui le soutienne et le fixe. S'il ne l'obtient pas, il retombe et s'abîme dans une grande ruine. Sans doute, avez-vous parfois songé à l'étonnante vertu qui suspend les astres dans l'éther? Elle n'est pas autre que leur propre poids et l'attraction que leurs masses exercent les unes sur les autres. Qu'une de ces étoiles vienne par impossible à s'anéantir, et sa voisine se précipitera du coup dans les profondeurs de l'espace. Ainsi de l'amour. Il n'a pas de quoi subsister par lui-même, il postule l'attrait et le don de son pareil. Et le même équilibre sans appui, qui règle le mouvement éternel des astres, assure sa stabilité dans le coeur des hommes.

   Mais là n'est pas le dernier repli où le mystère de l'amour prend son noeud. L'union à son pareil, loin de marquer son arrêt, est au contraire la cause de son activité. Et celle-ci a pour premier effet de le transformer., il se revêt , si j'ose ainsi parler, de la force et de la beauté amies. Dans cet accroissement de soi, il devient fécond et il éclate enfin dans la production d'un troisième amour qui, indépendant des deux premiers, est fait de leurs substances et redonne leurs images.

   Voilà ce qu'est l'amour et quel est son ordre. Que vous montiez au plus haut des cieux ou que vous descendiez au dernier degré de l'être matériel, partout vous le trouverez identique à lui-même. Partout il est inclination indigente, don absolu, production nouvelle.

   Thérèse de l'Enfant-Jésus, ayant dit qu'elle serait l'amour, ajoute qu'elle serait tout. Et c'est une de ces paroles formidables comme il en jaillit, pour nous déconcerter, de cette âme que ses vingt-quatre ans avaient à peine dégagée des simplicités de l'enfance . Mais Thérèse est magnifiquement justifiée par l'apôtre saint Jean en sa première épître . " Dieu, y dit-il est amour, et qui demeure en l'amour demeure en Dieu."

   Si Dieu est amour, il en faut déduire que l'amour est tout, car Dieu est tout, en ce double sens du moins que sans Dieu rien ne serait et que, lui seul existant, il suffirait. Mais l'amour tout-puissant, qui est au sein de l'infinie substance s'est épanoui dans les trois personnes, ne s'est pas enclos en cette vie nécessaire et absolue. Il a débordé en un libre épanchement, il a créé le monde, il s'est donné par la grâce, il s'est reproduit dans la sainteté. En soi et hors de soi, Dieu qui est amour, obéit donc à l'ordre de l'amour. Elevons nos pensées et tentons de concevoir ce qu'est l'oeuvre de Dieu dans son ensemble, telle qu'elle se hiérarchise au terme de ses décrets éternels . 

   Par un premier mouvement de son amour Dieu forme la nature de l'homme . Il la dote d'une parfaite autonomie, car l'homme n'est pas une parcelle échappée de la substance divine, il a son être propre. Et cependant, l'amour qui le façonne, ne peut que laisser en lui l'empreinte de ce besoin qui est une de ses caractéristiques. C'est pourquoi il y a , déposée par Dieu dans le coeur de l'homme une puissance qui est à la fois inclination et disponibilité. Inclination, car elle est un désir véhément de posséder le Dieu que la raison découvre derrière les merveilles de l'univers. Simple disponibilité néanmoins, car ce désir n'est pas un droit.  A la libéralité divine, il signale un grand vide que lui ne peut, mais qu'elle pourrait combler, si elle le voulait .

    D'un second mouvement d'amour Dieu sort de sa parfaite suffisance. A sa créature indigente, il offre le don de lui-même. C'est la grâce, qui est en effet une participation à la nature divine. Par elle l'homme est élevé à la capacité de posséder Dieu , et Dieu ne déchoit pas en venant à sa rencontre . Sous l'ombre de la foi, par la promesse de l'espérance, dans la ferveur de la charité, l'amour incréé s'unit à l'amour créé. Il le hausse à sa taille infinie, il le fixe en son éternel équilibre. 

   Enfin Dieu couronne ses desseins par un troisième mouvement de son amour . La grâce, jointe à la nature, se dépense dans une activité efficace, et l'oeuvre qu'elle produit est la sainteté.

   Car la sainteté n'est pas un don gratuit de Dieu . Nous ne la trouvons pas toute faite dans l'eau baptismale, comme un dauphin trouve la royauté dans son berceau. Et davantage elle n'est pas l'ouvrage du seul labeur de l'homme. Mais les deux amours dans un même coeur conspirent ineffablement à l'enfanter: l'amour de Dieu qui appelle, presse et grandit à chacune de ses victoires; l'amour de l'homme qui se soumet, se purifie et se perd en son tout puissant vainqueur.

   C'est pourquoi le saint est une nouveauté parmi toutes les oeuvres de Dieu. Vous ne lui trouverez pas de semblable. Est-il encore un homme ? Oui, sans doute . Mais qui oserait reconnaître que notre nature bornée, vacillante et inquiète dans cet héroïsme spontané, dans cette perfection si sûre, dans cette paix que rien n'émeut? Proche de Dieu, le saint n'est pas un Dieu non plus. Tout en lui n'est qu'obéissance et hommage au Dieu unique.  Cependant, par une suprême faveur, Dieu le traite en égal, car c'est à la recherche d'un égal qu'il a tenté l'incompréhensible entreprise de la nature et de la grâce . Au Dieu qui est amour, seul le saint peut donner la réponse, parce que lui aussi est amour.

   Rien donc n'est outré dans le cri de sainte Thérèse mourante :

" Je serai l'amour, je serai tout " .

   Bientôt la lumière de gloire va se lever sur elle, et les premiers feux de cette aurore touchent déjà les cimes de son esprit . Et quelle merveille, cette clarté qui descend du ciel entr'ouvert sur une âme, prête à s'échapper de son corps!  L'humble enfant, sous le grand jour qui monte, se tient dans la vérité: elle sait qu'elle est une sainte, et elle le dit.

  Et sa conscience n'est pas moins vive que des degrés que l'amour divin lui a fait gravir jusqu'au jour où elle peut dire :

" Maintenant, j'y suis, le Seigneur m'a prise et m'a posée là. "

Elle reprend alors, pour en faire son action de grâces, la parole que chante l'Epouse au Cantique sacré :

' En moi il a ordonné l'amour. "

   L'ordre dans lequel l'amour fit son ouvrage en elle, la Sainte nous le récite au livre de sa Vie. Là , nous apprenons quels furent sa famille, son tempérament, son âme. Là  elle nous confie les prévenances, les conquêtes de la grâce sur sa nature et sa triomphante victoire. Enfin, dans l'admirable effusion qui compose les dernières pages, se dissipent les brumes d'humilité dont Thérèse voilait encore l'éclat de son âme .

Sa sainteté s'y manifeste, avec l'évidence du soleil débuchant de la nuée, dans un mystique lyrisme où deux mots sans cesse reviennent : amour et enfance.

 

dom Aubourg osb +

 

Rédigé par Philippe

Publié dans #spiritualité

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