Mr l'abbé Stéphane Morin, pour le diocèse de Fréjus - Toulon
Chers Pères, cher diacre,
Je me souviens dans les premiers mois de son pontificat, de ce que Jean-Paul II partageait à ses prêtres : « l'unique conviction qui doit vous inquiéter est celle de votre fidélité à votre identité ».
L'identité de tout ministre ordonné est fixée en Jésus-Christ. « Devenir prêtre ou diacre, cela signifie devenir l'ami de Jésus-Christ » disait Benoît XVI qui ajoutait « Dieu vient vivre en nous et nous en lui. Tel est l'appel sacerdotal. Ce n'est qu'ainsi que notre action pastorale peut porter du fruit ».
Plus que toute autre vocation chrétienne, le prêtre et le diacre portent l'exigence d'imitation du Christ. Au soir de la Cène, lavant les pieds de ses disciples, Jésus invitera les siens à faire de même. Cette imitation n'est pas la répétition formelle des gestes et des paroles du Christ, mais elle requiert une intimité particulière avec le Maître qui nous redit : « Je ne vous appelle plus serviteurs mais amis ».
Cette intimité s'origine elle-même dans une identification ministérielle. L'ordination imprime un caractère indélébile. L'apôtre Paul parlait de “sceau”. Le sceau, c'était un signe ineffaçable qui marquait au fer rouge le bétail ou l'esclave afin d'indiquer à quel maître il appartenait.
Rien d'étonnant qu'en visitant tel prêtre, fût-il avancé en âge, vous trouviez dans sa chambre telle photo usée de son ordination diaconale ou presbytérale, car celle-ci est le moment fondateur de sa vocation.
Tout s'explique ou devrait s'expliquer à partir de ce don reçu en ce jour de grâce. En définitive, chaque jour de son ministère consiste à actualiser et à déployer ce qu'il a reçu au jour de son ordination par l'imposition des mains.
L'amitié avec le Christ presse le diacre de se nourrir de la parole qu'il aura mission de proclamer. Il fait sienne cette Parole comme une parole de vie. Elle doit s'incarner dans sa propre existence. L’Écriture c'est sa patrie, sa prière quotidienne dans la récitation des offices. C'est sa carte routière. Enrichie de sa propre méditation à l'école des saints, le diacre reçoit la charge de communiquer cette Parole et de l'enseigner. Sans cette Parole de vérité portée par le magistère de l’Église, sa propre parole ne serait qu'une simple opinion parmi tant d'autres, un discours de plus, un discours de trop, dans un monde déjà si bavard.
Ministre de la Parole, le diacre doit préserver une intériorité, pour que cette parole retentisse en lui.
S'il ne fait plus oraison, parce qu'il est absorbé par l'agir, parce qu'il est soumis à l'hégémonie de son agenda [ou de son téléphone portable], parce qu'il a perdu la mémoire de l'appel du Seigneur qui l'a mis à part, ou encore parce qu'il est préoccupé à l'excès par la réussite pastorale ou le souci narcissique de lui-même... bref, s'il oublie que Jésus l'a d'abord choisi pour « être avec lui » (Mc 3) avant que d'entreprendre... alors il passe à côté de sa vocation, de ce pourquoi Dieu l'a choisi, l'a béni et l'a envoyé. « Je vous ai distingué au milieu du peuple pour que vous soyez à moi » dit le Seigneur dans le livre du Lévitique (20, 26). Si la Parole de Dieu ne trouve plus dans son cœur de diacre l'espace disponible pour le transformer et le purifier du dedans, jour après jour, elle perdra en crédibilité vis-à-vis des auditeurs.
C'est en raison de ce que la Parole de Dieu a fait en lui, a fait de lui, qu'elle atteste de son efficacité. C'est une vie convertie par la Parole, qui appelle autrui à la conversion.
Le diacre, ministre de la Parole est aussi serviteur de l'autel. Son premier service est celui de la liturgie, c'est-à-dire de la glorification de Dieu par l’Église.
Prenant appui sur sa propre expérience ministérielle, le bienheureux Jean-Paul II écrivait : « en contact constant avec la sainteté de Dieu, le prêtre doit devenir saint lui-même. Le monde actuel demande de saints prêtres. Seul un saint prêtre peut devenir un témoin transparent du Christ et de son Évangile dans un monde sécularisé ».
Le pape polonais n'affirmait pas autre chose dans l'exhortation apostolique Pastores dabo vobis : « la nouvelle évangélisation a besoin de nouveaux évangélisateurs, de prêtres qui s'engagent à vivre leur sacerdoce comme un chemin de sainteté ».
Ce qui est dit du prêtre vaut naturellement du diacre qui aspire à le devenir. Cette sainteté sacerdotale est sacrificielle. Elle associe à chaque messe les ministres ordonnés à la passion du Christ. Le futur pape Pie X s'entendit dire par sa mère, juste avant sa première messe : « Mon fils, souviens-toi que monter à l'autel, c'est monter à la croix ».
À chaque célébration du sacrifice eucharistique, Jésus et ses ministres ne font qu'un, en se livrant radicalement pour le salut de tous.
Se livrer à la suite du Christ, c'est comprendre que la souffrance fait partie du ministère diaconal. Outre les combats inéluctables auxquels n'échappe nulle vie chrétienne, il subit en plus l'épreuve d'une vie radicalement engagée à la suite du Maître. Il doit sacrifier sa propre existence toute entière à sa mission de serviteur car il s'identifie à elle. Et ce renoncement se mue en une forme de vie permanente, celle du service du Christ, de l’Église, de ses frères et sœurs.
Celui qui fonde sa vie sur le Christ-serviteur se trouve suspendu à la fois au-dessus de lui-même, puisqu'il agit au nom du Christ, et il est maintenu toujours derrière le Christ au pied de ses frères qu'il doit servir.
Accepter la croix, c'est accepter à la fois l'humilité du service et l'ardeur de la charité.
L'humilité, car le feu de l'amour se trouve en Dieu et non pas en soi. L'humilité, car en servant autrui, on ne doit pas le rendre otage de notre sollicitude, l'enfermer dans une dépendance affective ou se prendre pour le sauveteur de nos frères. De plus, nos réalisations ne seront jamais à la hauteur de nos intentions premières. L'humilité du diacre s'exprime liturgiquement par la posture de retrait et de l'effacement. Il s'inspire des figures d'évangile que sont Joseph ou Jean le Baptiste qui disait « il faut que Lui – le Christ – grandisse, et que moi je diminue ».
Le service réclame l'humilité mais aussi l'ardeur, le zèle.
La flamme de l'amour divin que nous recueillons dans nos vases d'argile est attisée à la pensée que cet amour n'est pas connu. « L'amour n'est pas aimé » s'exclamait le diacre François d'Assise. L'ardeur à servir s'incarne par l'abnégation, la disponibilité, la générosité, la ponctualité, l'attention bienveillante à l'égard de chacun, la compassion vis-à-vis des plus pauvres en qui on reconnaît la présence de Jésus, la chasteté du cœur à laquelle convoque le choix du célibat.
Souvent on attend d'un prêtre ou d'un diacre plus qu'il ne peut donner. On attend qu'il soit peut-être un surhomme, un messager éclatant, un ambassadeur convaincant, un cœur brûlant... Terrible illusion ! Le diacre ou le prêtre reste un homme fragile qui avance avec crainte et tremblement et qui devra redire chaque jour dans sa prière : « Seigneur je crois, mais viens au secours de ma foi ». Il devra continuellement se frapper la poitrine en s'écriant : « Seigneur aie pitié de moi, pauvre pêcheur ». Oui, Jésus n'a pas choisi des héros, mais des personnes vulnérables pour en faire des intendants les mystères du Royaume.
Cette compassion de Dieu pour notre propre fragilité ne doit pas servir de prétexte à entretenir une quelconque médiocrité. À quels symptômes reconnaît-on le virus de la “grippe pastorale” qui peut frapper toute vie sacerdotale ou diaconale ? À la mélancolie, à la vanité, au cynisme, au scepticisme, à la torpeur, à l'amertume entretenue, à la critique désabusée, à la morosité. Cette fièvre est facilement contagieuse et elle peut être le prélude à un coma spirituel profond. Peut-être a-t-on besoin, à certains moments, d’un coup de fouet salutaire pour se réveiller, rechoisir son ministère afin qu'il reprenne vie. Sans doute, le contexte fraternel peut stimuler des prises de conscience, nous aider à remettre en cause nos dysfonctionnements, à remonter la pente, à retrouver une juste relation au Christ, l'exigence de se conformer en tout à son Évangile.
« On ne peut se décider à être un saint sans qu'il en coûte beaucoup de renonciations, de tentations, de persécutions et de toutes sortes de sacrifices » disait Mère Teresa. Elle ne faisait qu'emboîter le pas aux propos du Curé d'Ars que relevait un de ses auditeurs attentifs : « Ce sont nos combats qui nous obtiendront le ciel. Tous les soldats sont bons en garnison. C'est sur le champ de bataille que l'on fait la différence entre les courageux et les lâches ». Et le saint curé d'ajouter : « La pire des tentations c'est de n'en point avoir. La croix est l'échelle du ciel. »
S'il peut sembler que la vie du prêtre ou du diacre ne suscite pas l'intérêt de la majorité des gens, en réalité, il s'agit de l'aventure la plus extraordinaire et la plus nécessaire pour le salut du monde, l'aventure de montrer et de rendre présente la plénitude de la vie divine à laquelle nous aspirons tous.
En recevant cette charge du service à la suite du Christ serviteur, le diacre est un témoin de la joie.
La joie d'être au Christ qui est venu non pour être servi mais pour servir. La joie de se donner à ses frères en les servant chaque jour. La joie de rendre heureux ceux qu'on sert. « Notre sainteté, c'est la joie des autres » me confiait récemment un prêtre qui fêtait le jubilé de ses 50 ans de sacerdoce.
La joie de donner aux autres la joie même de Dieu. C'est la joie même de l'Église et cette joie, comme l’a promis Jésus, « personne ne nous la ravira » (Jn 16, 28). Cette béatitude de la diaconie est déjà une participation à la communion trinitaire. « En Dieu tout est joie, car en Dieu tout est don » aimait à dire Léon Bloy. Le diacre est le prophète de cette allégresse céleste offerte par le Christ à celui qui le suit jusqu'au bout, jusqu'à la perte de soi par amour pour ses frères. « Serviteur bon et fidèle, entre dans la joie de ton Maître ».
+ Dominique Rey
Abbaye Notre Dame de Fontgombault Le 11 juin 2013
cum permissio de Son Exc Mgr Dominique Rey et du Très Révérend Père Abbé.