Jeudi Saint - homélie dom Jean Pateau - Fontgombault

Publié le 29 Mars 2024

 

 

 

 

 

Les heures que nous vivons au rythme de la liturgie, nous mettent en présence de deux univers radicalement opposés : celui de la haine, celui de l’Amour.

Il y a le monde dans ce qu’il a de plus bas, de plus vil. Le monde qui s’acharne sans pitié sur l’Innocent et qui décide arbitrairement qui doit vivre et qui doit mourir : Jésus ou Barabbas.

Au cœur de ce monde, et alors qu’au-delà des murs de la salle du Cénacle le complot visant à le faire mourir se noue, Jésus réunit ses disciples et leur lègue un Testament vivant, le plus bel héritage qui puisse être : son Corps et son Sang. Cet héritage, le Seigneur le livre dans un écrin : le repas pascal et le long discours qui le conclut. Revivons ces instants.

Jésus commence par envoyer Pierre et Jean : « Allez faire les préparatifs pour que nous mangions la Pâque. »

Ceux-ci répondent : « Où veux-tu que nous fassions les préparatifs ? » Jésus les invite alors à suivre un homme portant une cruche d’eau. Dans la maison où il entrera, eux aussi entreront et ils diront au maître de maison : « Le maître te fait dire : “Où est la salle où je pourrai manger la Pâque avec mes disciples ?” » (v.11)

Comment ne pas penser aux noces de Cana, au début de la vie publique du Seigneur ? Là, l’eau des cruches a été changée en vin. L’heure est venue désormais, où ce qu’annonçait le premier signe de Jésus doit s’accomplir pleinement. L’époux et l’épouse de ces noces d’un genre nouveau, ce sont le Christ et l’Église ; ce sont le Christ et l’humanité. L’heure est venue où le Seigneur scelle la Nouvelle Alliance entre Dieu et l’homme par l’offrande de son Corps et de son Sang, en s’offrant à son Père comme la véritable victime pascale.

Cette Pâque est la dernière que le Christ mangera avec ses disciples : « Jamais plus je ne la mangerai, jusqu’à ce qu’elle soit pleinement accomplie dans le royaume de Dieu... Jamais plus je ne boirai du fruit de la vigne, jusqu’à ce que le royaume de Dieu soit venu. » (Lc 22,16;18) leur dit-il. Le Christ accomplit sa Pâque, et celle-ci s’achève dans la venue sur terre du royaume de Dieu. Désormais, tout homme pourra communier à la Pâque du Seigneur, être baptisé de son baptême, être nourri de son Corps et de son Sang. En cette Alliance, Dieu pardonne, c’est-à- dire passe outre nos péchés et nous réconcilie avec lui.

« Pascha nostrum immolatus est Christus – Notre Pâque a été immolée, c’est le Christ », chanterons-nous le jour de Pâques. (1 Co 5,7)

Malgré ce contexte solennel, les disciples réunis autour du Seigneur se querellent pour savoir celui qui est le plus grand parmi eux. Tel est le cœur de l’homme. Il est très probable que c’est à ce moment, que le Seigneur a accompli envers chacun le geste significatif du lavement des pieds. Dure leçon pour tous. Ce geste apparaît cependant comme une étape incontournable vers la communion au Corps et au Sang du Seigneur.

Saint Paul fait écho à cet enseignement en s’adressant à ses Corinthiens, dans les versets qui précèdent l’épître que nous venons d’entendre et le récit de l’Institution :

Quand votre Église se réunit, j’entends dire que, parmi vous, il existe des divisions, et je crois que c’est assez vrai, car il faut bien qu’il y ait parmi vous des groupes qui s’opposent, afin qu’on reconnaisse ceux d’entre vous qui ont une valeur éprouvée. (1 Co 11,18-19)

Communier, c’est vouloir vivre de la vie de Dieu, et vivre de la vie de Dieu implique de vivre en cohérence avec les enseignements de Dieu qui, dans le Christ, s’est fait serviteur et a offert sa vie pour ses amis. « Faites cela en mémoire de moi. » (ib v.24 et 25)

L’institution des sacrements de l’eucharistie et de l’ordre s’achève par un long discours rapporté par saint Jean. Retenons de ces enseignements que l’appartenance à l’Église se fait dans la communion au Christ. Il est la vigne, nous sommes les sarments. Le Christ n’est pas divisé contre lui-même. En lui, nous sommes et nous devons être un. Entendons cet appel à favoriser l’unité au sein de l’Église par nos actes et nos paroles.

Après ce moment unique d’intimité, il est temps de gagner le Mont des Oliviers. Bientôt Judas arrive avec la troupe. Les disciples se dispersent. Que restera-t-il du testament de Jésus ?

Qu’en sera-t-il aussi pour nous ce soir ? Qu’en est-il à chaque fois que nous recevons le Corps et le Sang du Christ ? Demeurons-nous en Dieu ? Dieu demeure-t-il en nous ? Sommes-nous un dans le Christ, serviteurs de son amour ?

Dom Delatte, troisième Abbé de Saint-Pierre de Solesmes, écrivait :

La transsubstantiation qui s’accomplit sur l’autel entre les mains de chaque prêtre, entre nos mains, met le Seigneur à la portée de chacun. Encore nous faut-il observer que la conversion merveilleuse qui s’accomplit sur l’autel n’est pour le Seigneur qu’un moyen. Elle est ordonnée à une autre transsubstantiation, définitive, celle-là : « sicut misit me vivens Pater, et ego vivo propter Patrem : et qui manducat me, et ipse vivet propter me. – De même que le Père, qui est vivant, m’a envoyé, et que moi je vis par le Père, de même celui qui me mange, lui aussi vivra par moi. » (Jn 6,57)  Le Seigneur ne vient en nous que pour nous changer en lui. Celui qui est acte [il s’agit de Dieu] ne peut être simplement témoin et spectateur. Il a pour dessein d’orienter et de gouverner lui-même notre vie et notre activité, de nous transformer spirituellement en lui, et de nous transsubstantier à notre tour : « qui adhæret Domino unus spiritus est. Celui qui s’unit au Seigneur ne fait avec lui qu’un seul esprit. » (1Co 6,17)

(Dom DELATTE, Notes sur la vie spirituelle, ch. 3, VII.2, § 181)

Pour autant, cette transformation spirituelle en Dieu, cette vie de Dieu qui veut venir en nous, ne peut se faire sans nous.

En ces jours saints, alors que le Seigneur va se reposer au tabernacle et qu’il nous invite à veiller à ses côtés, à nous unir à son agonie tout particulièrement en cette nuit, prenons un peu de temps pour Dieu. Rappelons l’exhortation de saint Anselme citée par le Pape François dans l’homélie du mercredi des cendres :

Fuis un moment tes occupations, cache-toi un peu de tes pensées tumultueuses. Rejette maintenant tes pesants soucis, et remets à plus tard tes tensions laborieuses. Vaque quelque peu à Dieu, et repose-toi quelque peu en Lui. Entre dans la cellule de ton âme, exclus tout hormis Dieu et ce qui t'aide à le chercher ; porte fermée, cherche-le. Dis maintenant, tout mon cœur, dis maintenant à Dieu : « Je cherche ton visage, ton visage, Seigneur, je le recherche. » (Proslogion, 1)

En ces heures qui nous séparent de la grande vigile pascale, recevons le commandement nouveau comme la boussole de notre vie. Recevons la force de l’accomplir dans une communion renouvelée au Corps et au Sang du Seigneur : « Comme je vous ai aimés, vous aussi aimez-vous les uns les autres. » (Jn 13,34)

Amen.

 

 

Rédigé par Philippe

Publié dans #homélies

Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article