Le malentendu
"Ayez l'intelligence accueillante,"
dom Delatte, commentaire de la règle.
Tout le monde se demande pourquoi il y a la guerre, pourquoi il y a encore des conflits etc…
Les guerres et les conflits entre les hommes, viennent de malentendus. De malentendus qui pourraient être évités si les hommes usaient de leur intelligence.
Pourquoi y a-t-il des malentendus, ou des qui-pro-quo entre les hommes ? tout simplement parce que le genre humain n’use pas de l’intelligence que Dieu lui a donné ! C’est tout simple.
Si les hommes réfléchissaient davantage, et pas seulement avec leur neurones, certes, mais aussi dans la complétude de l’intelligence : à savoir leur être tout entier, leur cœur, leur cervelle, leur personne, il y aurait vraisemblablement plus de paix ici-bas.
Intelligence vient de « intus » + « leggere » = lire « à l’intérieur ». Lire les choses, les événements, les personnes à l’intérieur, ou plutôt « de l’intérieur », pour en comprendre l'essence même, et ne pas s'arrêter aux apparences.
Les gens pas intelligentes sont celles qui lisent, mais seulement de l’extérieur, et s’arrêtent à la superficie, à l’entrée de l’être, sans vraiment chercher à savoir ce qu’il y a « à l’intérieur » des choses !!!
Le malentendu… !
Donc les guerres, les conflits, les disputes, les querelles reposent presque toujours sur un défaut d’intelligence, ou un « malentendu »… !
On a crucifié le Christ sur un malentendu : les juifs ont compris qu’Il voulait « leur prendre leur pouvoir », alors qu’il était venu les chercher et les sauver… ! C’est sur un malentendu que Jésus a été trahi : Judas n’a pas compris les paroles du Christ, les paroles sur le Royaume, et que le Royaume du Christ n’était pas de ce monde… Judas n’a rien compris, et sur ce malentendu, il a trahi… !
On fait encore la guerre au Christ aujourd’hui, simplement sur la base d’un malentendu comme il y a deux mille ans. Le Verbe s’est fait chair, le Messie est venu, mais l’on n’a pas compris son message, alors on l’a crucifié.
Il est venu sauver les hommes, et les hommes ont cru qu’il allait prendre leur place : voilà le premier malentendu.
Alors c’est la guerre, on ourdit un procès, une parodie de procès, on le dresse sur une croix, on l’abaisse au rang des voleurs, on lui impute des crimes qu’il n’a pas commis etc… la procédure judiciaire classique. Tout cela pour un malentendu, car les détracteurs de Jésus n’ont pas compris son message.
Lui parle de « Royaume » « qui n’est pas de ce monde », eux comprennent : « démocratie, pouvoir mondain, parlement, sondages, débat politique… » ; Lui parle d’amour et de liberté, eux comprennent égoïsme et libéralisme… bref, aujourd’hui encore, si les hommes se déchaînent contre l’enseignement évangélique, c’est bien sur la base d’une incompréhension.
On ne comprend pas « pourquoi » il y aurait des crucifix dans les Ecoles en Italie, on ne comprend pas « pourquoi » tuer un enfant dans le ventre de sa mère est un crime, on ne comprend pas pourquoi deux hommes qui se marient ne peuvent pas avoir d’enfant, on ne comprend pas pourquoi un homme qui a reçu un mandat de mener le troupeau doit « encore » enseigner que l’amour n’est pur et noble que lorsqu’il respecte la loi naturelle… on ne comprend pas… on ne comprend plus…
Jésus l’a dit au reste au sujet de la loi sur le célibat sacerdotal : « comprenne qui pourra »… et bien aujourd’hui comme hier, beaucoup ne « peuvent » pas comprendre, car ils ne veulent pas comprendre.
Même parmi les plus fidèles de l’auditoire de Jésus, certains ne comprennent pas ou plus : « elles sont dures ces paroles.. » disent-ils… !
Dans l’Evangile, beaucoup de disciples n’ont rien compris. On nous montre des apôtres qui ne comprennent rien en général. Ils font des contre-sens, ils ont tout faux au « quizz », ils ne réfléchissent pas, ils n’écoutent pas surtout.
Ils n’écoutent que leurs intérêts, leurs instincts. Or, c’est une règle générale : il faut d’abord « écouter » avant de répondre. Tout l’art de l’écoute constitue la relation. Je suis en relation avec autrui, lorsque j’écoute. Ecoutez n’est pas entendre… c’est bien plus. Et déjà : la langue française assimile le « j’entends bien » par « je vous ai compris ».
Il faut écouter autrui, pour comprendre.
Si je « m’écoute », je perds l’autre et ne le comprends plus. Je flétris la relation et finis par la perdre. Combien de gens aujourd’hui s’écoutent parler, à défaut d’écouter autrui. Combien de gens se complaisent dans le « moi », « moi, je pense que… » « à mon avis… », « selon moi… », « d’après moi… », moi, moi, moi… A force, ce soliloque coupe la relation, et l’on perd l’humanité…
Les apôtres sont des hommes comme les autres, et ils sont ‘pêcheurs’ de métier surtout, comme les autres. Et ils ne comprennent pas. Surtout au départ, parce qu’après la Résurrection et la Pentecôte ça ira mieux. Mais au début, tout semble relever du malentendu.
Regardons les répondre :
Jésus les met en garde contre le levain des pharisiens et des Saducéens, mais eux, les apôtres, ne pensent qu’à manger, logique était « levain = farine = pain donc baguette et croissant etc… » ! Perdu.
Jésus préfigure sa Résurrection en la Sainte Transfiguration, et Saint Pierre qui ne comprend rien à la scène, est tellement content qu’il veut planter trois tentes igloo pour rester dans cet état euphorique de bien-être charismatique. « ah ! ce qu’on est bien ici » pense-t-il ! Hélas, il se trompe. Re-Perdu. Décidément… !
Jésus parle de la Passion qu’il doit vivre, et Saint Pierre – toujours lui – s’y oppose, jugeant indécente une telle fin pour un maître qui devrait monter sur le trône, être investi (il l’est déjà : notez greffier) d’un pouvoir temporel etc…. Cependant Saint Pierre s’indigne, s’offusque tel une vierge effarouchée, et il se trompe, il ne comprend toujours pas les desseins divins. Re-re-perdu… !
De la même manière à l’orée de la Passion, Pierre se propose de suivre le Christ jusqu’en prison et à la mort (Lc. XXII, 33), mais il n’a rien compris du genre traquenard dont il s’agit. Il n’a pas saisi l’ampleur du sacrifice à venir…
Il n’a rien compris non plus de sa propre faiblesse humaine, faiblesse qui le fera renier par trois fois le Divin Crucifié dans les instants qui vont suivre… !
Lui qui était si fort : « moi, le premier, moi le premier », au moment de la Passion, il se défile, comme tant d’autres !!! et même il dira : « moi ? je le connais pas ! » et pourtant son accent régional le trahit… ! donc re-re-re-perdu… !
Les apôtres perdent sur toute la ligne… !
Tout ce pour quoi Jésus perd tu temps à expliquer, tout ce que Jésus montre avec force de détails, d’analogie, d’allégories, de paraboles, tout cela passe à côté des apôtres…
Parfois même, Jésus dit très clairement à ses fidèles qu’ils ne captent rien. Non, rien de rien. En plus, eux, rien de rien, ils ne regrettent rien.
Par exemple, à la suite de l’enseignement sur le pur et l’impur, Saint Pierre, qui pose la question « explique-nous la parabole » (Mt. XV,15), et ce même Saint Pierre de s’entendre dire: « vous aussi, maintenant, vous êtes sans intelligence ? » En d’autres termes : « en quelle langue dois-je vous parler » ?
Lors de la troisième annonce de la Passion, Jésus leur parle de boire la coupe, et il leur prédit la passion, la souffrance, mais eux échafaudent dans leur petite tête leur promotion sociale, leur avancement, ils se voient déjà porter leur chapeau de cardinal, ils demandent des sièges au gouvernement et des portefeuilles de ministres… ils n’ont rien compris…
A Gethsémani, ils ne comprendront pas ce qui se passe ; ils s’endormiront au lieu de prier et de veiller. Rien, ils ne comprennent rien.
Aux deux disciples d’Emmaüs, qui ne voient toujours rien venir (pour le moment) il dira : « ô cœur sans intelligence lents à croire tout ce qu’ont annoncé les prophètes » (Lc XXIV, 25)
« O cœur sans intelligence » ; d’habitude c’est l’esprit qui est sans intelligence, mais là, c’est et l’esprit et le cœur qui n’ont plus l’intelligence… comme si l’intelligence des apôtres était voilée, obscurcie, envolée.
Les exemples d’incompréhensions, de contre-sens, de quiproquo constituent donc les rapports entre les apôtres et le Divin Maître, dans la quasi-totalité de l’Evangile…
Mais pourquoi donc ? Une partie de la réponse est à chercher dans le péché. Le péché obscurcit le cœur, le péché rend aveugle, sourd, muet… ! Sourd-muet, passe encore, mais les trois en même temps… le péché a fait fort, là !
Alors on peut se dire : « ça, c’était bon pour les temps apostoliques », et donc, aujourd’hui ? Les apôtres today ? Les successeurs de ceux qui ne comprenaient rien, que comprennent-ils aujourd’hui ? Sont-ils meilleurs ? ont-ils donc compris finalement ?
On est en droit de se le demander devant certaines « affirmations » ou certains comportements… !
Aujourd’hui ils nous parlent du « peuple de Dieu », bien ! mais ils ne s’en sont jamais autant éloignés, répugnant ainsi à tout ce qui est « populaire », détruisant toute la piété « du peuple » précisément de ce peuple dont ils louent le « sacerdoce commun des fidèles », mais qu’ils délaissent… ! Ces dignes successeurs ont-ils compris ? il semble que non ! ils n’ont toujours pas compris que cette même piété simple et belle, faite pour les petits, est le garde-fou contre les errements d’une intelligence « trop intelligente », d’un raisonnement de raisonneurs, pour arriver aux termes de la joie fidèle, cette piété simple et sereine est le garant d’une foi heureuse qui ne se perd pas dans les méandres de l’hérésie ou les affres de l’apostasie… !
Ils nous parlent de « visibilité » de l’Eglise, mais ce sont eux qui l’ont créée en nous racontant que l’Eglise devait « s’inculturer » puis « dialoguer avec le monde » puis « être comme tout le monde en pékin » etc… alors après s’être fondu dans la masse et au soleil, ils n’ont jamais été aussi invisibles dans la société aujourd’hui.
Dans les grands débats de société, ils apparaissent timidement que lorsque tout est joué, quand des pans entiers de la chrétienté se sont effondrés… ils débarquent avec des réflexions compliquées, des slogans « has-been », des raisonnements tordus… ! Ils n’ont jamais autant inventé, réinventé et vanté la modernité, mais en même temps, ils n’ont jamais été autant « ringards » en tout. Ils nous parlent de « connaître le monde », mais lorsque le monde ou la masse fidèle et sereine revient à la tradition, lorsqu’une majorité de personnes veulent une liturgie authentique, belle et digne, cohérente et porteuse, là le monde pour eux s’écroule, s’évanouit, et ils s’y opposent à l’évidence… ! Ils n’ont jamais autant parlé des « jeunes » qu’aujourd’hui, se livrant à un jeunisme benêt et ridicule, mais en même temps, l’on n’a jamais compté autant de vieux dans leurs auditoires… !
Les apôtres d’aujourd’hui sont, à notre grande déception souvent les mêmes de ceux de l’an 33. Et pourquoi ? Simplement parce que nous pensons qu’ils devraient être parfaits… ! mais la perfection n’est pas de ce monde.
Parce que nous avons les apôtres que nous méritons… ! Et que nous ne prions pas assez pour nos apôtres post-postmodernes… « vous avez les prêtres que vous méritez » dit le saint Curé d’Ars. C’est vrai.
Si Dieu est parfait, l’homme lui est perfectible… ! Et nous, nous continuons à « idéaliser » ces hommes qui ont leur faiblesse, ces hommes qui, comme Monseigneur Saint Pierre ayant reçu la tiare, a juré qu’il « n’en était pas »… ! le premier Pape a donc renié le Christ… il a refusé de dire qu’il était son disciple : le premier Pape ! qui l’eut cru ?
Tout ça, parce que l’homme est faible, et qu’il trahit… et que nous, nous continuons à idéaliser l’homme, comme étant l’übermensch, le « surhomme », notion que Frédéric Nietzsche a probablement trouvée cette chez Byron ou Goethe (histoire d’étaler ma culture). En fait, nous sommes souvent davantage nietzschéens que chrétiens. Nous cherchons le surhomme, et il nous est difficile de comprendre pourquoi l’homme est faible, pourquoi l’homme tombe si facilement. Car nous avons une idée de l’homme, qui s’éloigne de la réalité. Nous sommes tous un peu surréalistes.
Le défaut de l’intelligence, chez l’homme est pourtant là : l’Evangile nous l’a montré.
Cependant, le défaut d’intelligence des apôtres d’hier, comme chez ceux d’aujourd’hui, n’est pas autre chose qu’un manque d’intelligence de cœur. Et ce n’est pas le fait des apôtres mais bien de tout homme… !
Le cœur qui, au contraire, se dispose à obéir aux instructions d’une conscience illuminée par la Grâce, le cœur « comprend » les choses selon le cœur de Dieu… ! Car le cœur sans intelligence, c’est surtout l’intelligence privée de cœur… ! Une intelligence froide et sûre d’elle-même, et qui doute de tout mais qui - curieusement - a réponse à tout en même temps.
Comprendre. Et comprendre ce que Dieu dit.
La compréhension de la Parole de Dieu, du Verbe fait chair, des instructions divines, (« comprenne qui pourra » dit Jésus Christ) n’est pas donnée à tous. Qu’une majorité ne comprenne pas ne constitue pas une injustice, mais c’est parce que Dieu respecte le choix de ceux qui ne veulent pas être comprendre et/ou être sauvés. Car cette compréhension suppose l’adhésion de tout l’être, et pas seulement de l’intelligence. La parole de Dieu, suppose un amour récipiendaire, un cœur qui reçoit et qui enfante, la Parole pour être saisie au vol pour être assumée a besoin d’un être qui la fasse sienne.
Si on la scrute froidement, si on la décortique sans cœur, elle reste lettre morte, et parfois même, elle peut avoir un effet opposé à celui recherché.
La parole triturée c’est un cadavre. Or, la Parole est vivante, et on vit avec elle.
Car la parole est vivante, et elle vit dans le cœur de l’homme et pas seulement dans les tiroirs bien rangés de son cerveau… !
Et c’est là qu’on retombe dans le mécanisme « psychologique » de la Foi. La foi c’est l’adhésion à des vérités révélées, certes, mais c’est une intelligence poussée à croire, qui est mue par autre chose, parce que la volonté la pousse à adhérer. Et c’est dans la volonté que va se loger la charité… ! Donc, il faut avant tout « du cœur » pour comprendre les choses de la Foi…
Certains voudraient saisir les choses de la Foi, mais sans que le cœur ne soit engagé… c’est une gageure. Eh bien non ! le cœur d’abord et le cœur surtout. C’est le cœur qui « digère » ce que l’intelligence lui présente, pour que ce soit lisible, intelligible à l’âme. Notre esprit ne pourra jamais digérer la nourriture qu’on lui donne si le cœur ne l’a reconnu et assumé auparavant… ! Voilà pourquoi nos cœurs sont « sans intelligence »… ! Ce n’est pas tant l’intelligence qui fait défaut que le cœur qui n’y est pas !
Donc concluons (parce qu’il faut conclure, et que je ne peux pas écrire indéfiniment) que Dieu parle au cœur de l’homme, avant de lui parler à son intelligence, et que l’intelligence ne pourra faire son métier que si le cœur collabore avec elle. Sans le cœur, l’intelligence des Ecritures n’est rien, et l’Ecriture Sainte c’est Dieu qui parle, et qui parle à notre cœur… !
Gageons que Dieu lui nous comprend toujours, et que dans son amour, dans son cœur, nous comprenions à notre tour ce qu’il veut nous dire… !
Mgr LANTHEAUME