Publié le 10 Avril 2014
" Mon Père, s'il n'est pas possible que ce calice passe sans que je le boive, qu'il soit fait suivant votre volonté ".
... Et pourtant voilà, sans que nous en puissions douter, la raison de cette seconde agonie où entre notre Rédempteur: il voit ses peines perdues pour un grand nombre de ceux qu'il a voulu sauver, - oubliées, méconnues même et blasphémées par les plus chères de ces âmes, auxquelles il va donner son sang comme il leur a donné son coeur.
S'il y a pour notre esprit un douloureux problème, c'est bien celui de cette foule humaine qui rend inutile le sacrifice d'un Dieu: et pourtant, il ne nous est pas possible de le nier, beaucoup d'âmes ne profitent pas de la Rédemption - (même si aujourd'hui dans l'Eglise des modernistes tout le monde entre dans la maison du Père, dans n'importe quelle religion) - , les unes parce qu'elles la repoussent, les autres parce qu'elles n'en ont pas souci.
Nul ne peut être sauvé malgré lui, et l'Apôtre nous donne l'avis facile à comprendre d'achever en nous, par notre bonne volonté, ce qui manque à la Passion du divin Maître, c'est-à-dire de nous en appliquer les fruits par une union libre et généreuse à la volonté de notre Rédempteur.
Conseil perdu pour beaucoup, sinon pour le plus grand nombre! Ne doutons pas de la miséricorde et de la puissance divines; mais 'noublions pas non plus que la voie de la perdition est large et le nombre de ceux qui la suivent effrayant à calculer.
Jésus le voyait avec la même clarté qu'il avait vu les désordres de l'humanité et les expiations dont ils étaient le principe. A la suite des anges déchus, les âmes séduites passaient devant ses yeux, dans un tourbillon plein de gémissements et de sanglots, entrainées vers les abîmes où ne doit jamais descendre le pardon à la rencontre d'aucun repentir. En vain leur tendait-il des mains suppliantes, avec des appels d'une tendresse ineffable: elles ne voulaient rien de lui, même au plus profond de leur désespoir. Comme une mère, à qui l'on prend ses enfants pour les jeter aux bêtes fauves sans qu'elle puisse les défendre, se débat, s'épuise en pleurs et en cris, souffre mille morts au milieu des ricanements des bourreaux. Jésus se tordait dans l'étreinte de la plus grande souffrance. Comme il était plus facile de s'abandonner aux fouets, aux épines et aux clous! Que ne pouvait-il augmenter à l'infini les déchirements et les tortures pour assurer le salut de ces âmes affolées!
Mais il n'y fallait pas songer; la liberté humaine est un obstacle qui arrête Dieu lui-même, et si fort que soit l'amour, il est impuissant contre le refus d'aimer.
Alternative cruelle! Il ne pouvait se dérober à l'acceptation de cette amertume sans renoncer à sauver les âmes de meilleure volonté: sa mort était le prix des unes et des autres, et n'en restât-il qu'une seule pour en profiter, le sacrifice devait être le même, offert pour la rédemption de toutes.
Cette obstination à repousser le pardon n'était-elle pas d'ailleurs la plus grave des offenses dont la Divinité s'irritait, et ne fallait-il pas qu'il satisfît d'abord pour celle-là.
Eloigner le calice, c'était donc éloigner la miséricorde pour les âmes capables de la comprendre, de la désirer et de la mériter.
Le regard tristement fixé sur les réprouvés, il avait le coeur présent aux élus, et sa main serrait la coupe enfiellée avec un tremblement de crainte et de soumission.